L’entretien motivationnel et la pratique fondée sur les preuves : interview de Guillaume Deville, kinésithérapeute par l’association collectif kinés
Guillaume DEVILLE, Bonjour.
Nous vous remercions pour votre participation (à répondre) à ce questionnaire de l’Association Collectif Kinés. Celui-ci a pour but de démocratiser une pratique avancée basée sur les preuves et d’en apprendre un peu plus sur l’Entretien Motivationnel (EM).
Pourriez-vous vous présenter succinctement ?
Je suis diplômé de l’école de Bordeaux en 2005, j’ai passé mes 2 premières années en salariat à temps plein dans un club de football professionnel puis j’ai poursuivi en libéral pendant 11 ans jusqu’il y a quelques mois. Depuis, je travaille avec des médecins généralistes sur un exercice d’aide à la coordination du parcours de soins des patients musculo-squelettiques au sein de leur cabinet.
Quel type de pratique effectuez-vous au sein de votre cabinet de kiné ?
Je débute une nouvelle activité au sein d’un cabinet de médecine générale. Les patients qui rapportent des symptômes musculo-squelettiques à leur médecin traitant se voient proposer une séance d’évaluation approfondie d’1 heure avec moi. Pendant cette séance je conduis un entretien, un examen physique et je discute avec les patients des différentes options de traitement disponibles pour les accompagner dans le processus de construction d’un choix de traitement informé. Ensuite, je fais un retour au médecin généraliste qui prend en compte mon avis et la préférence éclairée du patient pour décider de l’orientation de ces patients dans leur parcours de soins.
Je n’exerce plus en cabinet de kinésithérapie et pour pouvoir rester dans les clous vis à vis du conseil de l’ordre, je n’ai pas d’activité conventionnée. Ma pratique est effectuée et rémunérée dans le cadre du Pôle de santé auquel j’appartiens. Nous avons décidé de tester cette pratique sur 6 mois et de monter un dossier en parallèle avec l’ARS pour expérimenter ensuite des délégations de tâche comme la prescription d’imagerie ou d’antalgiques de palier 1, ou encore la possibilité, pour les patients dont le motif de prise de rendez-vous est une plainte musculo-squelettique, de passer directement par moi pour économiser du temps médical. Mais ça c’est pour plus tard et seulement si le projet est accepté.
Pourriez-vous définir et décrire ce qu’est l’Entretien Motivationnel ?
Je propose la définition de William R. Miller et Stephen Rollnick [1], deux psychologues à l’origine de l’EM : « L’entretien motivationnel est un style de conversation collaboratif permettant de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement ». C’est donc une technique de communication verbale qui implique une collaboration entre deux personnes. Une des deux personnes envisage un changement pour lequel elle est ambivalente, elle a des raisons de le faire et des raisons de ne pas le faire. La deuxième personne joue le rôle d’un guide qui accompagne la première personne en facilitant l’exploration de ses désirs, ses raisons, ses besoins et sa capacité à changer, le tout dans le but d’augmenter sa motivation à effectuer le changement.
L’EM s’appuie sur un Esprit qui regroupe les notions de Collaboration, Altruisme, Non-Jugement et d’Évocation. Il comprend des Outils de communication spécifiques, mais faire de l’EM c’est employer ces Outils dans le cadre de l’Esprit. Une confusion existe parfois avec le risque de manipulation qui pourrait être une dérive si les Outils sont utilisés sans respecter l’Esprit de l’EM.
Quels seraient les points forts/faiblesses de l’entretien motivationnel ?
L’EM offre des outils concrets pour réellement avoir une pratique centrée sur le patient. En effet, nous allons pouvoir nous appuyer sur ce que le patient sait, et sur ses capacités à raisonner et à trouver des solutions par lui-même qui auront plus de chances de lui convenir. L’EM permet également de partager efficacement de l’information, des connaissances que le patient n’a pas et ne peut pas trouver seul, mais que nous avons en tant que professionnels du fait de notre expérience clinique ou de notre connaissance de la littérature scientifique. Par conséquent, l’EM facilite la pratique fondée sur les preuves car cette approche permet de rester centré sur les valeurs du patient, tout en apportant notre expertise de professionnels ou des données de sciences pour accompagner le patient dans sa réflexion vers le changement. L’utilisation des Outils de l’EM, en respectant l’Esprit motivationnel, permet également de construire et d’entretenir une alliance thérapeutique de qualité.
Côté points faibles, je ne sais pas si mes convictions m’empêchent de les voir pour le moment. Je suis peut-être encore dans une phase de « lune de miel » … l’avenir me le dira ! Mais pour le moment je ne vois rien que je pourrais qualifier de point faible. Un exemple fréquemment cité est que ça prend du temps en pratique. Une réponse habituelle est qu’il vaut mieux prendre le temps d’utiliser des stratégies qui portent leurs fruits plutôt que d’aller plus vite avec des stratégies qui ne marchent pas. Je crois que même lorsqu’il est plus rapide de décider du sujet à aborder avec un patient, si jamais ce sujet n’est pas celui qui est important pour le patient, même si on a gagné le temps de le consulter, tout le temps que nous allons dépenser à traiter de ce sujet sera du temps perdu. En définitive ça va même encore plus loin car lorsqu’on sait bien guider une consultation avec l’EM, en réalité on gagne du temps en focalisant le patient sur le sujet, en l’aidant à ne pas s’échapper sur un sujet différent et en suscitant du discours changement sans perdre de temps avec le discours maintien. Peut-être qu’une difficulté avec l’EM réside dans le fait que pour arriver à gagner du temps et à être efficace dans l’accompagnement des patients vers le changement, d’après les études qui ont évalué la question, il est nécessaire d’avoir suivi un cursus total de 6 jours de formation et de pratiquer des séances de supervision avec des confrères ayant plus d’expérience. Avant de devenir efficace, un investissement conséquent est donc nécessaire.
Pour revenir aux points forts - car en EM on apprend à terminer par ce qui est en faveur du changement ;) - je vais tenter de résumer l’impact positif sur ma pratique clinique. Ce qui me vient à l’esprit dans le désordre, au moment où j’écris, c’est que l’EM favorise une alliance thérapeutique de qualité, aide à s’appuyer sur les ressources des patients, facilite une pratique centrée sur le patient, aide le patient à comprendre et apprendre des informations qu’il ne connaît pas, respecte le libre arbitre du patient, diminue le sentiment de culpabilité du thérapeute qui sait tout ce qu’il pourrait faire pour aider ce patient qui semble refuser son aide, diminue la fatigue du thérapeute qui n’est plus tout seul pour faire l’effort de réfléchir aux solutions les plus adaptées mais fait réfléchir et « travailler » le patient, aide à respecter et accepter le choix du patient et permet de ne pas se sentir frustré lorsque le patient ne choisit pas ce que le thérapeute aurait préféré pour lui. J’en oublie.
Une dernière : respecter le temps du patient, c’est à dire le temps qu’il lui faut pour réfléchir, accepter, mettre en place, etc... Et s’ajuster en conséquence ; de la même manière que ceux d’entre vous qui connaissent l’EM respecterons le fait que j’oublie des choses qui vous semblent importantes, soit parce qu’elles ne me sont pas venues en tête tout de suite, soit parce que je ne les ai pas encore complètement comprises ; et qui me laissent aller à mon rythme pour les comprendre un jour, ou pas…
Quelles différences avec la Pain Neuroscience Education, la Mindfulness, L’ACT…?
Les neurosciences de la douleur nous apportent des connaissances très précieuses qui nous permettent de mieux comprendre l’expérience douloureuse de nos patients. Un autre intérêt majeur est de transmettre ces connaissances aux patients, ce qui permet de valider leur expérience, de les rassurer cognitivement, de prendre conscience de la situation pour mettre en place des stratégies adaptées, etc. L’EM aide à établir une alliance thérapeutique de qualité et à partager ces connaissances en partant de ce que le patient sait déjà, en lui fournissant de petites quantités digestes d’informations et en vérifiant continuellement ce qu’il en comprend, ce qu’il en pense et/ou ce qu’il va en faire. L’information transmise aura plus de chances d’avoir un impact favorable.
Concernant la méditation pleine conscience (Mindfulness), ma compréhension de cette approche est qu’elle aide les patients à se concentrer sur l’instant présent et à débrancher leurs pensées de ce qui est arrivé dans le passé, et qu’ils ne peuvent par conséquent pas changer, ou à débrancher leurs pensées de ce qui risque d'arriver dans le futur, mais qui n’arrivera peut-être jamais.
Un des objets est de réaliser que ce ne sont que des pensées et pas la réalité (défusion cognitive) et de diminuer l’activité de notre système nerveux sympathique qui en réponse à ces pensées modifie toute notre physiologie. Par exemple, il va rendre nos terminaisons nerveuses beaucoup plus sensibles et susceptibles de transmettre un message qui pourra faire que notre cerveau interprète la situation dans laquelle nous sommes comme étant dangereuse. Il pourra alors décider de nous faire ressentir des symptômes comme de la douleur ou des nausées, des vertiges, etc., des signaux conscients qui sont là pour nous alerter et nous pousser à ajuster notre comportement.
S’entraîner à se concentrer sur l’instant présent permet de ne pas s’accrocher à ses pensées qui peuvent sensibiliser notre système nerveux et aussi de reconnaître que ce ne sont que des pensées. C’est pour cette raison que la méditation pleine conscience est liée à la thérapie d’acceptation (ACT).
Ce que je comprends de la thérapie ACT par rapport à ma pratique clinique, c’est qu’il est nécessaire que le patient comprenne et réalise la situation dans laquelle il se trouve, afin de pouvoir envisager de mettre en place des stratégies de traitement adaptées. Par exemple, si une personne est déconditionnée et qu’elle ne réalise pas qu’aujourd’hui, elle n’a pas la capacité de faire une activité à un certain niveau d’intensité ou pendant une certaine durée, et par conséquent qu’elle la fait ; elle va irriter ses tissus, déclencher des symptômes, sensibiliser son système nerveux à cette activité et reculer au lieu d’avancer. L’activité en question deviendra plus dure et plus problématique au lieu de devenir plus facile. Réaliser que nous ne pouvons pas faire quelque chose que nous pouvions faire dans le passé est difficile, malheureusement, pour être capable de pouvoir le refaire dans le futur il est souvent nécessaire de se ré-entraîner en utilisant des doses que notre corps peut accepter dans le moment présent.
L’utilisation de ces techniques peut ne pas correspondre aux attentes des patients lorsqu’ils consultent un kinésithérapeute. Il est important qu’ils comprennent leur pertinence.
Par conséquent l’EM va aider à créer une relation de confiance qui facilitera l’ouverture des patients aux propositions de leurs thérapeutes et permettra aussi de favoriser leur compréhension de l’intérêt de ces approches. Nous avons souvent tendance à choisir un camp et à opposer les concepts plutôt que d’essayer de les combiner pour enrichir notre pratique. Si ce que j’ai écrit est compréhensible, j’espère que vous pourrez voir à quel point ces différentes approches se complètent.
Que pensez-vous de l'Evidence Based Practice (EBP) ?
La pratique fondée sur les preuves (EBP) est à la mode. Par conséquent, elle a ses fans et ses détracteurs. Encore une fois, il semble qu’il faille choisir son camp… Un reproche fait par les détracteurs est que cette pratique n’est basée que sur les données de la littérature et la crainte est que le patient soit oublié tout comme l’expérience clinique du thérapeute. C’est comme pour l’approche biopsychosociale, elle est opposée à l’approche biomédicale. Le reproche habituel est qu’elle oublie le bio (l’anatomie, la biomécanique, la physiologie, etc.). En effet, il peut arriver que certaines personnes soient tellement enthousiastes en découvrant l’importance de la prise en compte des facteurs psychologiques et sociaux qu’elles s’en retrouvent à dénigrer le bio. Malheureusement c’est encore la même erreur selon moi. Il s’agit d’ajouter des connaissances et des points de vue pour augmenter nos chances d’être plus complets lorsque nous aidons nos patients, pas de choisir.
Et donc, pour revenir à la pratique fondée sur les preuves, elle ne consiste pas à mettre en place que les techniques qui ont démontré de l’efficacité dans des études, et exclusivement celles-ci. L’attention au patient, à la personne qui souffre, la prise en compte de l’expérience du professionnel restent d’actualité. L’idée est simplement d’ajouter à notre analyse de la situation des informations issues de la science.
En bref, arrêtons d’opposer, de nous opposer et faisons preuve de curiosité plutôt que de jugement pour nous enrichir en additionnant et en combinant.
Quels sont les points forts / limites de l’EBP ?
Au risque de me répéter, un des points forts de la pratique fondée sur les preuves est d’enrichir notre compréhension de la situation d’un patient et de ce que nous pouvons lui proposer en ajoutant des données issues de la littérature à notre expérience professionnelle et en prenant en compte ce qui est important pour lui.
Lorsqu’un patient s’améliore, il est tellement difficile et probablement même impossible de savoir si notre intervention en est la raison ou bien s’il se serait amélioré de toute manière, soit parce que son corps guéri de lui-même, soit parce que les facteurs psycho-sociaux qui bloquaient le processus de guérison se sont arrangés entre autres raisons. Il est bien possible que nos interventions, nos échanges avec ce patient aient pu participer à créer un contexte à nouveau favorable à sa guérison ou peut être que cela s’est joué en dehors de nos échanges.
Par conséquent, se baser uniquement sur notre expérience clinique comporte le risque d’attribuer de façon définitive l’évolution d’un patient à notre intervention. Au passage, lorsque le patient s’améliore, quelque part cela signifie au minimum que notre intervention ne l’a pas empêché de s’améliorer. Mais par contre nous ne savons pas s’il ne se serait pas amélioré plus vite sans nous… Pas simple… Si notre intervention est vraiment la raison ou une des raisons de son amélioration, il n’y a pas de problème. Toutefois, si nous le pensons alors que ça n’est pas réellement le cas, le risque est de continuer d’utiliser des stratégies inefficaces avec nos patients suivants et dans le meilleur des cas de leur faire perdre leur temps.
La recherche quantitative offre des informations qui nous permettent de savoir ce qui est plus souvent vrai que faux pour une population de patients. Par conséquent nous en savons un petit peu plus sur la probabilité d’une stratégie de traitement à aider ou pas un patient. En suivant les données de la science, nous pouvons augmenter la probabilité d’aider. Le revers de la médaille est qu’il est crucial de bien comprendre les limites des études et de ne pas prendre les résultats de ces études comme une vérité universelle et éternelle. En effet, non seulement nous n’avons pas du tout de données sur certains sujets, pour d’autres nous en avons qui proviennent d’études de faible qualité méthodologique. Nous avons quelques études plus solides mais si elles sont trop peu nombreuses, il reste possible que leurs conclusions soient remises en question dans le futur. Parfois même, nous pouvons avoir plusieurs études de haute qualité qui avancent des conclusions contradictoires…
Il est clair que certains sujets ont été explorés par plusieurs études de bonne qualité qui ont toutes conclues dans le même sens. Dans ce cas, il est très peu probable que la science modifie ou modère ses conclusions dans le futur. Pour les autres cas de figure cités précédemment, il reste intéressant de connaître les résultats des recherches et de les prendre en compte pour proposer des stratégies de traitement à nos patients mais seulement à partir du moment où avons conscience de leurs limitations.
La plupart des choix que nous faisons comportent des risques. Si nous voulons éviter tout risque, il ne reste plus beaucoup d’options, voire plus du tout en général. Par conséquent, faire un choix c’est souvent accepter certains risques. Il me semble juste important d’avoir conscience de ces risques pour tenter, soit de les atténuer ou de les contrôler, mais aussi pour savoir potentiellement revenir sur notre choix si la situation n’évolue pas favorablement.
Prendre les résultats d’études comme des recettes est très sécurisant et nous rassure sur le fait que nous « sommes certains » de prendre une bonne décision. Cette certitude est le plus souvent illusoire. Même si nous avons tous besoin de sentir que nous nous appuyons sur des informations solides pour aider nos patients, il me paraît plus adapté de faire de son mieux pour rester lucide et conscient du degré d’incertitude qui entoure nos choix. L’utilisation des données de la science nécessite donc du recul.
Lors de mon master à Brighton j’ai découvert la recherche qualitative. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Depuis, au cours d’interventions dans des IFMK, j’ai pu constater que les étudiants sont désormais informés à ce sujet.
Ces études ne vont pas nous permettre de dire si une stratégie de traitement est supérieure à une autre mais elles vont nous offrir l’opportunité, par exemple, de mieux connaître le point de vue des patients et des thérapeutes sur des situations cliniques particulières, sur le vécu du patient avec sa pathologie, sur la perception de l’utilisation de techniques de traitement, etc.
Un des aspects auquel je suis le plus sensible, c’est le vécu du patient et son opinion sur l’utilisation de techniques de communication ou sur les stratégies de traitement actives comme le fait de pratiquer des exercices thérapeutiques en dehors des séances. Les personnes qui me connaissent savent déjà que ce sont les deux sujets qui me passionnent. Dans ce type d’études, le but va être par exemple de recueillir un maximum de points de vue différents. L’objectif ne sera pas de déterminer lequel est le plus fréquent mais vraiment d’en connaître le plus possible.
De cette manière, j’ai le sentiment que nous pouvons développer ou ajuster des techniques afin de répondre à une plus grande variété de patients. Si je grossis le trait, ce sera intéressant pour un plus grand nombre de patients que si nous déterminons le problème le plus fréquent, que nous développons une stratégie adaptée à ce problème et que nous appliquons cette stratégie à tous les patients sans distinction. On retombe sur la même problématique : si nous interprétons mal les résultats des études et que nous cherchons une vérité unique et universelle, nous risquons développer des recettes qui trop souvent ne conviendront pas.
Parlons un peu politique. D’après vous, quelle place occupe le kinésithérapeute de demain ?
Je ne sais pas quelle place il occupera. J’ai lu sur les avantages démontrés de la pratique avancée dans d’autres pays et j’aimerais beaucoup l’expérimenter dans notre contexte français. Mon projet avec les médecins généralistes va dans ce sens. Ensuite, nous sommes brillants en France pour réfléchir et concevoir des plans pour changer les choses, mais nous oublions souvent d’évaluer les résultats et surtout nous avons du mal à agir en conséquence. L’administration nous oblige souvent à évaluer, mais il peut arriver que nous ne tenions pas compte de ces résultats et que nous continuions même s’ils ne sont pas bons. Ou bien si les résultats montrent que ce que nous avons envisagé ne fonctionne pas, tout s’arrête et la personne qui a réfléchi au départ risque être jugée comme incompétente, critiquée pour ne pas avoir bien pensé le projet au départ, et dénigrée dans sa capacité à être capable de reconduire un projet à nouveau dans le futur.
Je pense que si quelqu’un conçoit un projet avec des indicateurs pour évaluer son impact réel en comparaison de l’impact espéré, et que si après une durée adaptée le projet n’atteint pas ses objectifs, il doit être retiré et que nous devons nous enrichir des raisons qui ont fait que le projet n’a pas marché pour faire mieux une prochaine fois, et non pas juger les concepteurs du projet pour toujours.
Je crois qu’il faut avoir un profond respect pour les personnes capables de résister à leur dissonance cognitive et capables de reconnaître qu’ils se sont trompés, qu’il est nécessaire de rebrousser chemin et d’apprendre de l’expérience. Par opposition à ceux qui ne parviennent à voir que les raisons de poursuivre, ce qui peut se comprendre dans des situations où l’investissement pour concevoir et conduire le projet a coûté de l’énergie, du temps, de l’argent, etc.
L’avenir de la profession passe par le partage entre kinésithérapeutes. Lorsque je constate l’énergie et la passion de mes confrères je suis plus qu’optimiste. Parfois, voir toute l’énergie et le temps incroyable dépensés dans des débats qui opposent me chagrine. Au lieu de choisir et défendre un camp, si nous défendions la profession, je pense que nous pourrions aller plus loin et plus vite. Et à nouveau, pour défendre la profession mon idée n’est pas de se battre contre d’autres professions, mais de partager, échanger et grandir avec d’autres professionnels de santé. Au final notre souhait à tous est d’aider les patients. Servons-nous de cet objectif commun pour rester ouvert aux idées des autres au lieu d’être emportés par notre réflexe de défendre nos idées à nous. Je ne suis pas complètement naïf et je sais bien que toutes les idées ne sont pas combinables. Maintenant en écoutant les idées des autres, nous pouvons enrichir et faire évoluer les nôtres. Et au final, nous faisons nos choix en ayant conscience de leurs avantages et de leurs inconvénients. Pas parce qu’ils sont parfaits, mais parce qu’à un moment donné, nous décidons de privilégier les avantages, en étant conscients des inconvénients, ce qui nous permet de faire tout notre possible pour les minimiser.
Auriez-vous une remarque, un conseil pour les temps qui viennent ?
J’aurais tendance à inciter mes confères kinésithérapeutes à entreprendre des choses qui leur paraissent importantes pour la profession et pour les patients, à ne pas y réfléchir seul avant de se lancer et à impliquer d’autres confrères, d’autres professionnels et aussi des patients ! A prévoir d’évaluer les résultats de leur démarche et à ne pas hésiter à stopper si c’est nécessaire sans avoir peur du jugement des autres (en se rappelant que le jugement et les critiques sont plus en lien avec le fait que ceux qui les formulent défendent des valeurs qui sont importantes pour elles plus qu’elles ne cherchent à porter atteinte à la personne qu’ils attaquent). A faire la démarche de diffuser les résultats qu’ils soient décevants (pour ne pas faire perdre de temps à un autre confrère qui aurait la même idée, ou enrichir son projet pour qu’il puisse bénéficier des leçons tirées de l’expérience) ou qu’ils soient encourageants pour valoriser notre profession et aider les patients à être mieux pris en charge.
Restons passionnés, engagés, aimons notre profession et faisons de notre mieux pour nos patients, tout en restant attentifs à faire preuve de bienveillance envers nous-même car il est facile de s’oublier dans toute cette histoire.
Guillaume, au nom de l’Association Collectif Kinés, merci beaucoup pour le temps passé à répondre à cet interview et merci de ce que vous faites pour la profession, pour votre engagement.
Références
[1] Miller et Rollnick, Pratique de l’entretien motivationnel, communiquer avec le patient en consultation, Intereditions-Dunod,Paris, 2009, 243 p.
Suggestion de lecture :
Miller et Rollnick, L'entretien motivationnel - 2e éd. - Aider la personne à engager le changement Broché – 6 mars 2019