Mode d’emploi pratique d’une aide à la prise de décision partagée pour les patients souffrant de l’épaule et ayant une déchirure de coiffe non-traumatique
Par Guillaume Deville
En janvier dernier (2020), Kinésithérapie la Revue a publié mon tout premier article. Et l’Agence EBP a accepté de payer les droits pour qu’il soit disponible en accès libre :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1779012319303481?via%3Dihub
Ce papier est le résultat d’un travail qui m’a permis de valider un module de Master en ‘Physiotherapy and Education’ réalisé avec l’Université de Brighton (GB). J’ai eu l’immense privilège et l’avantage d’être accompagné dans cet exercice par Jo Gibson, Jeremy Lewis et Matthieu Guemann.
Une revue Cochrane (D Stacey et al. 2014, 2017) a conclu de l’efficacité de la prise de décision partagée lorsque des Aides pour la Prise de Décision Partagée (APDP) sont employées :
« Stacey et al. [16] rapportent un haut niveau de preuves concernant le fait que les APDP offrent une meilleure compréhension des options de traitement, les patients se sentent mieux informés et plus en mesure de déterminer ce qui est important pour eux. De plus, des preuves de qualité modérée indiquent que les APDP améliorent la perception des bénéfices et des dangers, et rendent les patients plus acteurs dans le processus de prise de décision [16]. Pour finir, les décisions prises tendent à être plus en accord avec les valeurs des patients [16]. » (Issu de Deville et al. 2020)
Malgré toutes ces preuves d’efficacité démontrées dans beaucoup de domaines du champ médical, une revue systématique (Tousignant-Laflamme et al. 2017) rapporte le manque de preuve actuellement disponibles sur l’efficacité de la prise de décision partagée pour la prise en charge des douleurs musculo-squelettiques. Les auteurs déplorent particulièrement le manque d’outils d’Aide pour la Prise de Décision Partagée (APDP). Lorsque j’ai commencé ce travail, je n’ai trouvé aucune APDP fondée sur les données actuelles de la science…
L’objet de mon article a été de concevoir une APDP destinée à aider les cliniciens à accompagner leurs patients dans leur choix de traitement. Cet outil concerne spécifiquement les patients souffrant de l’épaule et dont les imageries montrent une déchirure non-traumatique de la coiffe des rotateurs. Le voici :
Toutefois, disposer de l’outil en lui-même peut ne pas suffire. Par l’intermédiaire de ce blog, je souhaite donc partager une proposition de « mode d’emploi au cabinet ».
Il est basé sur le modèle des trois discussions, « three-talk model » publié par Glyw Elwyn (Elwyn et al. 2012, 2017), le père de la Prise de Décision Partagée. Ce modèle propose un enchaînement de discussions permettant d’aider le patient à transformer ses préférences initiales, potentiellement basées sur des croyances en inadéquation avec les données actuelles de la science, en des préférences informées. La stratégie que je vous présente utilise également de certains outils de base de l’Entretien Motivationnel (Miller and Rollnick 2013).
Situation clinique : Vous êtes avec un patient qui souffre de l’épaule dont les imageries montrent une déchirure transfixiante du supra-épineux et/ou de l’infra-épineux. Après avoir conduit votre entretien, puis votre examen clinique, vous faites le point avec lui.
Discussion sur la possibilité de choisir (« Team talk »)
« Maintenant que vous m’avez expliqué votre problème, et que je vous ai examiné, j’aimerais vous aider à choisir le traitement qui vous conviendra le mieux. Que connaissez-vous à propos des traitements qui existent pour quelqu’un qui a mal à l’épaule comme vous et qui a un trou dans les tendons de sa coiffe des rotateurs ? »
Le patient répond et partage ses connaissances actuelles.
Si elles sont à jour, vous pouvez proposer l’APDP au patient pour l’aider dans son choix.
Si elles ne sont pas à jour, vous pouvez proposer au patient de les compléter :
« Est-ce que vous me permettez de compléter ? »
Si le patient refuse, vous pouvez lui signifier que vous respectez son libre arbitre. Il s’ensuit un choix pour vous de continuer de le prendre en charge, ou non. Mais cette problématique n’est pas le sujet de ce blog ;).
Si le patient accepte :
« Il existe actuellement deux options qui ont démontré le même niveau d’efficacité : la rééducation et la chirurgie. Voulez-vous en savoir plus ? »
Si le patient accepte, vous pouvez lui présenter l’APDP et le parcourir avec lui. En effet, l’efficacité semble plus importante si ce type d’outil est exploré en présence d’un clinicien (Weymiller et al. 2007) et non pas seulement mis à disposition du patient pour qu’il l’utilise seul.
Discussion sur les options disponibles (« Choice talk »)
Vous parcourez la page 1 de l’APDP avec le patient et l’invitez à vous interrompre dès qu’il ressent le besoin de clarifier une information.
Avant de passer à la page 2, vous pouvez lui demander de remplir le tableau suivant : « Comment rempliriez-vous ce tableau ? »
Ou bien sans tableau vous pouvez simplement demander : « Quels seraient les avantages/inconvénients de faire de la rééducation sans vous faire opérer / vous faire opérer puis de faire de la rééducation ? »
(Posez tour à tour les 4 questions possibles de cette combinaison)
Une fois que vous avez fait le tour avec votre patient :
« Est-ce que vous voulez voir les réponses d’autres patients dans votre situation, et ce qu’en dit la science actuellement ? »
Si le patient accepte : montrez la 2e page de l’APDP :
« Prenez le temps de parcourir ce tableau, et dites-moi si vous souhaitez des précisions. » (Cette étape, comme d’autres dans l’ensemble de ce processus, peut être réalisée par le patient entre 2 séances de rééducation. L’important sera de refaire le point avec le patient.)
Les tableaux IV, V, VI et VII de l’article comportent les précisions qui permettent au clinicien de retrouver pourquoi certaines affirmations sont référencées comme « vrai » ou « faux ». Il pourra les partager avec ses patients, mais seulement en fonction des besoins de chacun, pour ne pas créer de surcharge cognitive en offrant trop d’informations.
Une manière d’évaluer l’interprétation de ces informations par le patient pourra être de lui poser la question :
« Que pensez-vous de ces informations ? »
Discussion autour de la prise de décision (« Decision talk »)
Une fois le patient informé et à jour des données actuelles de la science, il est temps de déterminer son choix.
Afin de respecter son libre arbitre et de lui permettre de prendre une décision en accord avec ses valeurs, vous pouvez lui poser la question :
« Qu’est-ce qui compte le plus pour vous dans ce tableau (celui de la page 2) ? »
Vous pouvez lui proposer de surligner dans ce même tableau, les raisons les plus importantes pour lui.
Il sera régulièrement important de signifier au patient qu’il n’est pas obligé de prendre sa décision définitive immédiatement. En effet, il peut prendre du temps pour y penser, y réfléchir avec ses proches, rediscuter de cette question avec d’autres professionnels de santé en utilisant l’APDP comme support. Mais avant de lui proposer toutes ces options, vous pouvez lui demander de réfléchir à ce dont il a besoin. Il n’y aura pas besoin de le convaincre de prendre en compte une idée qu’il aura eu lui-même. Au contraire, une idée que vous lui soumettez et qui ne vient pas de lui (même s’il aurait pu l’avoir lui-même) est toujours un risque d’entendre votre patient vous répondre par : « Oui, mais… » en argumentant contre votre proposition. Cette situation nous pousse naturellement à répondre à notre tour : « Oui, mais… » en cherchant à argumenter en faveur de notre idée… La relation thérapeutique aura tendance à partir vers une forme de confrontation, dans laquelle toute votre bienveillance qui vous pousse à aider votre patient risquera d’user votre énergie et générer une grande frustration.
Une manière de s’appuyer sur la réflexion du patient peut être la question :
« Qu’est-ce qui vous manque pour prendre votre décision ? »
Pour terminer, vous pourrez lui signifier que vous respectez le fait qu’il puisse avoir besoin de temps :
« Voulez-vous que je vous laisse le temps d’y réfléchir ? »
Tout en lui signifiant votre disponibilité pour revoir la question ensemble :
« Si vous souhaitez en reparler, vous pouvez me le dire à tout moment lors de nos séances. Et si le temps de prendre votre décision vous préférez suspendre les séances pour le moment, vous pouvez reprendre rendez-vous pour en reparler ou reprendre votre rééducation. Peu importe le traitement que vous choisirez, je ferai de mon mieux pour vous aider. »
Cette proposition d’utiliser l’APDP n’est qu’une manière de faire parmi d’autres.
J’ai simplement souhaité la partager pour faciliter la mise en pratique de cet outil qui je l’espère aidera des cliniciens à aider leurs patients.
Merci d’avoir lu jusqu’ici ! Je vous souhaite de prendre du plaisir dans votre quotidien dédié à aider vos patients.
Guillaume
Bibliographie :
Elwyn, Glyn, Marie Anne Durand, Julia Song, Johanna Aarts, Paul J. Barr, Zackary Berger, Nan Cochran, et al. 2017. ‘A Three-Talk Model for Shared Decision Making: Multistage Consultation Process’. BMJ (Online) 359: 1–7. https://doi.org/10.1136/bmj.j4891.
Elwyn, Glyn, Dominick Frosch, Richard Thomson, Natalie Joseph-Williams, Amy Lloyd, Paul Kinnersley, Emma Cording, et al. 2012. ‘Shared Decision Making: A Model for Clinical Practice’. Journal of General Internal Medicine 27 (10): 1361–67. https://doi.org/10.1007/s11606-012-2077-6.
Miller, William R., and Stephen Rollnick. 2013. Motivational Interviewing : Helping People Change. Guilford Press. https://www.guilford.com/books/Motivational-Interviewing/Miller-Rollnick/9781609182274.
Stacey, D, F Légaré, Col Nf, Bennett Cl, Barry Mj, Eden Kb, H Thomas, et al. 2014. ‘Decision Aids for People Facing Health Treatment or Screening Decisions ( Review ) Decision Aids for People Facing Health Treatment or Screening Decisions’. Cochrane Database of Systematic Reviews, no. 1: Art. No.: CD001431. https://doi.org/10.1002/14651858.CD001431.pub4.Copyright.
Stacey, Dawn, France Légaré, Krystina Lewis, Michael J Barry, Carol L Bennett, Karen B Eden, Margaret Holmes-Rovner, et al. 2017. ‘Decision Aids for People Facing Health Treatment or Screening Decisions’. Cochrane Database of Systematic Reviews, no. 10 (April). https://doi.org/10.1002/14651858.CD001431.pub5.
Tousignant-Laflamme, Yannick, Shefali Christopher, Derek Clewley, Leila Ledbetter, Christian Jaeger Cook, and Chad E Cook. 2017. ‘Does Shared Decision Making Results in Better Health Related Outcomes for Individuals with Painful Musculoskeletal Disorders? A Systematic Review’. Journal of Manual & Manipulative Therapy 25 (3): 144–50. https://doi.org/10.1080/10669817.2017.1323607.
Weymiller, Audrey J., Victor M. Montori, Lesley A. Jones, Amiram Gafni, Gordon H. Guyatt, Sandra C. Bryant, Teresa J. H. Christianson, Rebecca J. Mullan, and Steven A. Smith. 2007. ‘Helping Patients With Type 2 Diabetes Mellitus Make Treatment Decisions’. Archives of Internal Medicine 167 (10): 1076. https://doi.org/10.1001/archinte.167.10.1076.
Source:https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S17790123193034