De l’intention à l’action : comment l’Entretien Motivationnel optimise la Planification

Par Antoine Deconinck

La planification, voilà quelque chose que nous sommes habitués à faire dans notre travail avec nos patients. Il peut nous arriver fréquemment de :

  • Demander à nos patients de faire des exercices à la maison

  • Fournir une feuille ou des vidéos d’exercices

  • Discuter de la meilleure manière de reprendre une activité physique

  • Etc…

Nous essayons alors de planifier le traitement pour faciliter sa mise en place. Dans ces moments-là, nous pouvons être tenté de dire à nos patients ce qu’ils devraient faire. Malheureusement, ça ne fonctionne pas toujours. Il semble donc particulièrement intéressant de porter notre attention sur la manière d’améliorer cette partie de la prise en soins pour la rendre plus efficace.

Quand nos intentions ne suffisent pas...

Dans un blog précédent sur la dissonance cognitive, nous avons vu que lorsqu’un patient ne parvient pas à mettre en place un changement qui pourrait lui être bénéfique, nous disposons de techniques pour renforcer sa motivation à effectuer ce changement. Nous pouvons lui faire exprimer ses raisons, ses désirs ou ses besoins de réaliser ce changement, et aborder la confiance qu’il a dans sa capacité à l’entreprendre. Ainsi, quand le changement de comportement lui paraît suffisamment important et qu’il a suffisamment confiance en lui pour le faire, les portes du changement s’ouvrent devant lui. Dans certains cas, le patient parvient à franchir ces portes sans difficulté et sans avoir besoin de notre aide. Dans d’autres, le patient peut se retrouver bloqué sur le seuil, sans parvenir à passer le pas. C’est là que la planification trouve tout son sens. En Entretien Motivationnel, le processus de planification vise à accompagner efficacement le patient dans cette dernière étape avant le passage à l’action.

Prenons un exemple clinique

Imaginons un patient qui vient vous voir pour un syndrome fémoro-patellaire qui lui a fait stopper la course à pied. Lors de la première séance, vous discutez de la place qu’occupe la course à pied pour lui, et il vous raconte à quel point il a envie de reprendre. Il en a besoin pour évacuer le stress de sa vie professionnelle ; et comme il prépare une course qui a lieu dans 3 mois, il aimerait vraiment reprendre le plus vite possible. En complément d’exercices de rééducation, vous discutez avec lui de la possibilité d’utiliser la course à pied comme moyen de rééducation, en dosant correctement la durée et l’intensité de l’effort. Il semble vraiment emballé par l’idée et il a confiance dans le fait de pouvoir retrouver son niveau grâce au traitement. Vous lui donnez donc un programme de reprise de la course à pied et une feuille avec des exercices. Malheureusement, lors des séances suivantes, il revient systématiquement avec le même constat : il n’a pas trouvé le temps de courir ou de pratiquer les exercices. Pourtant son envie est intacte ! Renforcer sa motivation ne changera rien, vous l’avez déjà fait lors des séances précédentes.

Cette situation peut être assez désespérante. Pourquoi ce patient ne s’y met pas si c’est si important pour lui ? En tant que soignant, nous pouvons ressentir des sentiments négatifs :

  • De l’agacement envers le patient qui n’est pas si motivé que ça. Ben oui, sinon il serait déjà passé à l’action !

  • De la crainte de voir le traitement s’éterniser sans parvenir à faire progresser le patient...

  • De la dévalorisation, en prenant sur nous la responsabilité de l’échec du traitement.

  • De l’épuisement à force de dépenser de l’énergie pour motiver le patient et chercher des solutions, sans succès.

  • Du découragement qui mène au désengagement, puisque de toutes façons le patient ne tient pas compte de ce que nous lui proposons.

Et si nous prenons le temps d’envisager le point de vue du patient, il est probable qu’il se sente désespéré lui aussi de ne pas réussir à passer à l’action.

Prenons du recul

Pour comprendre ce qui se joue, je vous invite à vous projeter dans une situation (pas si) fictive. Imaginez que vous croisiez un vieil ami près de chez vous. Vous ne l’avez pas vu depuis des années et vous êtes vraiment content de discuter quelques minutes avec lui. De votre côté comme du sien, cette rencontre vous a donné envie de reprendre contact, et vous évoquez l’idée de vous revoir. Les semaines passent, vous avez échangé quelques messages pour maintenir le contact que vous aviez perdu pendant si longtemps, l’envie de vous revoir est toujours présente. Vous êtes tous les deux enthousiastes de prévoir un repas dans vos foyers respectifs. Mais les semaines passent, les mois, voire les années… et vous ne vous êtes toujours pas revus. Puis un jour, vous créez un doodle pour trouver une disponibilité commune, et vous vous mettez d’accord sur qui sera le premier à recevoir l’autre. Vous avez enfin planifié ! En déterminant quand, et chez qui le repas allait avoir lieu, vous avez concrétisé votre envie de vous revoir. Vous est-il déjà arrivé, dans ce type de situation, de ne pas planifier de rencontre et de finalement ne jamais revoir la personne ? Nos intentions ne suffisent pas toujours pour passer à l’action...

La cerise sur le gâteau

Dans le cas de notre patient, c’est peut-être ce qui est en train de se passer. Ses intentions sont claires : il a très envie de mettre son traitement en place. En revanche, il ne sait pas comment s’y prendre, même avec le plan de traitement que vous lui avez donné. Il n’a pas réussi à concevoir de quelle manière il allait pouvoir le mettre en pratique dans son quotidien.

Se retrouver bloqué dans cette position est très inconfortable aussi pour le patient. Il sait ce qu’il faudrait faire sans parvenir à le réaliser. Cette situation risque d’entamer sa confiance en lui et de rendre le changement de moins en moins probable au fil du temps.

La planification est un peu comme la cerise sur le gâteau : elle peut vraiment sublimer votre dessert, à condition qu’elle soit appétissante. A cette étape, il peut être tentant d’apporter nos solutions au patient. Nous avons une réelle expertise à ce sujet et de nombreuses expériences auprès d’autres patients nous ont démontré que nous pouvons apporter une plus-value. Dans notre volonté de bien faire, notre tendance peut être de chercher à convaincre le patient d’adopter nos stratégies. C’est tout à fait logique, puisque nous sommes convaincus de leur efficacité. Toutefois, si le patient ne voit pas comment les appliquer dans son quotidien, ou qu’il perçoit beaucoup d’obstacles à leur réalisation, la probabilité qu’il passe à l’action reste faible. Pire, si lorsqu’il nous fait part de ces obstacles, nous essayons de trouver des solutions pour qu’il suive nos conseils malgré tout : le patient risque d’argumenter de plus en plus sur la difficulté qu’il rencontre pour franchir ces obstacles. Plus le patient argumentera en faveur de ne pas arriver à changer, moins le changement (faire des exercices ou reprendre la course à pied) aura de chances de se produire. Il va se convaincre lui-même que ce n’est pas possible. De plus, il pourra avoir l’impression que nous ne prenons pas en compte à quel point c’est difficile pour lui. Notre alliance thérapeutique risque d’en prendre un coup, et la perspective d’améliorer la situation aussi. Avant de poser une cerise sur notre gâteau, mieux vaut s’assurer que le patient n’est pas allergique aux ingrédients qui le composent...

A l’extrême inverse, contrôler notre envie de donner des conseils et ne pas nous engager pleinement dans la planification du changement laisse le patient coincé avec ses intentions. Comme dans notre exemple, il ne parviendra pas à faire avancer favorablement son traitement. Le gâteau n’est alors pas suffisamment attirant pour que le patient ait envie d’y goûter.

Comment rendre notre planification appétissante ?

Lorsque l’alliance thérapeutique est bonne, que l’objectif est clair et que le patient est suffisamment motivé à l’idée de l’atteindre, trois des quatre processus de l’Entretien Motivationnel sont en place. Pour enclencher le changement, il reste la planification. Son objet sera de rendre le changement concret dans la vie du patient. Ainsi, nous allons lui demander comment il pourrait s’y prendre pour mettre en place son changement (exercices à la maison, reprise de la course en dosant correctement, etc.). En faisant cela, nous favorisons une relation basée sur le partenariat : nous impliquons le patient, et nous le poussons à réfléchir à ce qui pourrait fonctionner pour lui. Le patient devient un acteur de son traitement.
Nous pouvons aussi lui demander quel pourrait être le premier pas dans le sens du changement, de manière à initier un mouvement que le patient juge à sa portée :

« Comment pourriez-vous vous y prendre pour arriver à reproduire vos exercices à la maison ? »

« Quel serait le premier pas pour vous afin de vous permettre de reprendre la course à pied ? »

 

Parfois, le patient va identifier une façon évidente de s’y prendre. Et à d’autres moments, il existera une variété de chemins possibles. Lister toutes les options disponibles avant de choisir celle qu’il préfère est un bon moyen de s’assurer que la solution retenue s’adapte à la situation de notre patient. En Entretien Motivationnel, nous pouvons utiliser l’outil du Demander-Demander-Partager-Demander ou DDPD (👉 série de courtes vidéos sur le sujet) pour compléter la liste. Nous lui demandons s’il serait d’accord et/ou intéressé pour que nous ajoutions quelques options en plus de celles qu’il a proposées. De cette manière, s’il accepte, nous pouvons lui faire bénéficier de notre expérience et de notre expertise, sans imposer notre point de vue. Nous pouvons ensuite lui demander ce qu’il pense de ces pistes. S’il juge que nos propositions sont utiles, il pourra alors s’en saisir pour faciliter son changement. Et si ses idées lui semblent plus adaptées, à nous de ne pas nous frustrer car elles auront sans doute plus de probabilité de l’aider à passer le pas, et c’est bien ça notre objectif après tout.

Une fois que nous avons aidé notre patient à choisir la stratégie qui lui convient le mieux, nous pouvons anticiper avec lui les difficultés qui se dresseront sur son chemin en demandant quels obstacles il pourrait rencontrer avec ce plan. Notre objectif sera de faire réfléchir le patient à des solutions aux problèmes qui pourraient survenir. Il pourra ainsi les surmonter plus facilement s’il les rencontre. A l’aide du DDPD, comme précédemment, nous pouvons apporter notre expérience en l’informant sur les difficultés que d’autres patients dans sa situation ont pu déjà rencontrer. Si le patient pense qu’il pourrait y être confronté aussi, il aura alors l’opportunité d’envisager des parades. L’objectif en utilisant le DDPD sera que le patient réfléchisse à des solutions, et d’apporter notre aide si nécessaire.

“Si le client soulève les problèmes et que vous apportez les réponses, vous êtes assis sur la mauvaise chaise”. Miller et Rollnick (fondateurs de l’Entretien Motivationnel)

Les intentions de mise en œuvre, notre griotte

Afin d’optimiser notre planification, de rendre particulièrement efficace le passage de la motivation à l’action, voici un concept bien utile : les intentions de mise en œuvre. C’est en quelque sorte la meilleure des cerises possibles à mettre au sommet de notre gâteau.

D’un côté nous avons l’objectif principal poursuivi par le patient, par exemple participer à une course dans 3 mois. Nous l’appellerons une intention de but. D’un autre côté nous avons les intentions de mise en œuvre qui correspondent au fait de spécifier quand, et de quelle manière le changement va se produire, en le reliant à une situation précise. Lorsque nous aidons notre patient à formuler des intentions de mise en œuvre, nous l’invitons à décider à l’avance :

  • De la mise en place d’un comportement spécifique (par exemple faire 10 squats)

  • En fonction d’indices environnementaux (par exemple dès que l’alarme sonne)

  • En s’assurant que le comportement doit permettre d’atteindre l’objectif principal.

Le patient peut librement choisir quel indice sera relié au comportement. Il peut s’agir d’un moment précis de la journée, d’un ressenti fort, d’une action particulière…

 

« Quand je sors de table après le repas, je me lève et je me rassois 10 fois sur ma chaise »

 

« Quand je vais me laver les dents, je fais mes exercices avec l’élastique que je garde dans la salle de bain »

 

« Si j’ai trop mal, j’arrête mes exercices et je réessaye plus tard »

Au cours de ses travaux de recherches, Gollwitzer a montré qu’en formulant des intentions de mise en œuvre, nous rendons automatique le déclenchement de l’action. Nous sous-traitons en quelque sorte l’effort cognitif nécessaire pour déclencher l’action à une situation donnée et définie à l’avance. Et nous pouvons faire la même chose avec les obstacles potentiels, en formulant à l’avance la réponse souhaitée, l’adaptation du comportement, face à cet obstacle.

Il semblerait que les façons de formuler proche de “si...alors...” soient importantes pour être efficace. Par exemple, une expérience dans laquelle il était demandé aux participants de réaliser des exercices de mathématiques a montré que les participants qui avaient formulés “si nous sommes mercredi et qu’il est 10h, alors je réaliserai autant d’exercices de mathématiques que possible” ont été beaucoup plus ponctuels dans le démarrage de leur tâche que les participants qui avaient formulés “je réaliserai autant d’exercices de mathématiques que possible chaque mercredi à 10h”. La structure conditionnelle qui relie le comportement à mettre en place et la situation qui le déclenche semble être l’élément principal qui permet de rendre l'action aussi automatique que des habitudes anciennes. Bien entendu, le prérequis reste que la personne soit motivée par l’objectif final. Avant de planifier, il est crucial de s’en assurer. Les différents supports que nous fournissons à nos patients (feuille, vidéo) servent ensuite de rappel de cette intention.

Conclusion

La planification constitue la touche finale de l’accompagnement que nous offrons à notre patient. En conservant un style motivationnel jusqu’au bout de notre prise en soin, en s’appuyant sur le patient et sur la connaissance qu’il a de sa vie et de son contexte et en le guidant dans le choix des stratégies les plus pertinentes, nous favorisons son passage à l’action et l’expression concrète de sa motivation. Pour potentialiser les chances de réussite du patient, nous pouvons l’aider à formuler des intentions de mise en œuvre en déterminant à l’avance où, quand et de quelle manière le changement va se produire. Ses actions enfin alignés sur ses intentions, le patient peut alors démarrer son ascension vers le changement !

 Références bibliographiques

Miller WR, Rollnick S. L'Entretien Motivationnel 2ème Ed : Aider la personne à engager le changement. Interéditions, 2013.

Gache P, Cavalli-Euvrard G. Guide pratique de l'Entretien Motivationnel 20 fiches pour professionaliser son approche relationnelle. Interéditions, 2022.

Gollwitzer PM. «Implementation intentions Strong Effect of simple Plans.» American Psychologist, 1999.

Gollwitzer PM, Sheeran P. «Implementation Intentions and Goal Achievement : a Meta-Analysis of Effects and Processes.» Advances in experimental socialpsychology, 2006.

Sheeran P, Mile S, Webb TL, Gollwitzer PM. «Implementation Intentions and Health Behaviour.» Predicting Health Behaviour, 2005.

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