Discours divergents : l’analyse de Mike Stewart
Par Guillaume Deville
Pour débuter cette série de blogs sur les discours divergents, je vous propose de prendre un 1er temps pour essayer de mieux comprendre le problème.
Comme le dit souvent Mike Stewart : “the problem is not the problem, the problem is the solution”. En effet, rester bloqué à l’étape d’analyse d’un problème ne permet pas de s’en sortir. Il est important d’essayer d’identifier des solutions. Toutefois, pour que ces solutions soient pertinentes, il est utile de bien comprendre le problème. Et c’est exactement la démarche employée par Mike dans l’article sur lequel j’ai choisi de m’appuyer pour ce 1er blog.
De plus, même lorsque des solutions ont déjà été mises en oeuvre, il peut être intéressant de refaire le point sur le problème si elles ne fonctionnent pas comme prévu. Un juste équilibre entre le temps passé à explorer le problème d’une part et les solutions d’autre part semble nécessaire.
Le point de vue de Mike
Cette section reprend un article publié en 2018 par Mike Stewart et dont le titre traduit en français donnerait : “Le c** entre deux chaises : l’impact de la communication collaborative interprofessionnelle sur les attentes des patients” (1)
Problématiques soulevées par l’article
Les problèmes de communication entre les professionnels de santé sont une source fréquente de plainte de la part des patients. De plus, une corrélation avec les résultats de traitement a été identifiée : le pronostic se détériore avec le nombre d’avis contradictoires. Le prisme du modèle biopsychosocial a enrichi notre compréhension de la complexité des problèmes des patients. Le besoin de rencontrer plusieurs professionnels est donc facilement justifié. Malheureusement, plus les patients rencontrent de professionnels, plus ils sont susceptibles de se voir suggérer des traitements, des diagnostics et des pronostics différents. Et nous admettrons tristement qu’ils se retrouvent à devoir faire des choix qui ne sont pas souvent éclairés par les données actuelles de la science.
Dans son article, Mike Stewart discute notamment des attentes des patients et des causes sous-jacentes à l’origine des problèmes de communication entre les professionnels.
Des divergences de points de vue et d’attentes
Les différences d’attentes sur les causes du problème (diagnostic), les moyens de traitement, et le résultat à espérer (pronostic) existent à plusieurs niveaux :
entre les patients et les professionnels
entre les professionnels d’une même professions (intraprofessionnel)
entre les professionnels de professions différentes (interprofessionnel)
Il est donc très facile d’aboutir à un patient qui ne sait pas quel point de vue adopter. Et il est aussi facile pour nous, professionnels de santé, de rencontrer un patient qui rapporte un point de vue différent du notre.
Plus largement, la manière de penser des individus varie selon le continuum proposé par Schön (2). Cet auteur différencie un point de vue technique rationnel à une extrémité et un point de vue artistique à l’autre extrémité. D’un côté la certitude et de l’autre l’incertitude. Le positionnement de chaque personne sur ce continuum va être conditionné par combien elle est à l’aise ou non avec le fait d’accepter l’incertitude dans sa pratique. Tout dépendra parfois du sujet, mais dans tous les cas : deux personnes qui se positionnent trop loin l’une de l’autre sur ce continuum vont avoir des difficultés à se comprendre.
Au final, nos points de vue de professionnels sur la situation clinique d’une personne vont différer en fonction
des différences entre nos connaissances respectives
littérature connue
interprétation de la même littérature
expériences en formations initiale et continue
de notre positionnement sur le continuum de Schön (2)
de notre expérience professionnelle
de notre expérience de vie personnelle qui a engendré des croyances personnelles et façonné nos valeurs individuelles.
C’est à se demander comment deux personnes peuvent avoir le même avis ?! Et pourtant, heureusement, ça arrive.
La division culturelle interprofessionnelle
Des situations d’enseignements interprofessionnels existent. Je me souviens moi-même, au début des années 2000 avoir eu certains cours en commun avec des étudiants en ergothérapie et aussi avec des étudiants en médecines. Ces enseignements facilitent la création d’une base de connaissance commune. En fonction de comment ils sont menés, ils peuvent aussi favoriser la connaissance du métier des autres professionnels.
Toutefois, ces cours restent aujourd’hui minoritaires et les points suivants illustrent la persistance de barrières culturelles qui favorisent les occurrences de discours divergents :
Les habitudes de communication se forgent en formation initiale et diffèrent entre les professions. Par exemple, historiquement, les infirmiers ont été formés pour être très descriptif; contrairement aux médecins, qui sont conditionnés pour être très succincts dans leur manière de communiquer avec les patients, leurs collègues et les autres professionnels.
Le système hiérarchique constitue un frein à l’amélioration de la communication interprofessionnelle dans le monde de la santé. Par exemple, dans l’étude de Rice et al. (3) certains médecins ont affirmé qu’ils s’attendent à ce que leurs ordres soient appliqués sans négociation ni discussion.
Le rythme auquel les soins sont délivrés crée également une difficulté : “Il faut aller vite”. La place disponible pour des échanges entre professionnels est bien maigre.
Timmons et East (4) suggèrent qu’un manque de confiance existe entre les différentes professions de santé. Il serait lié à l’existence d’un protectionnisme professionnel; ce phénomène étant alimenté par le sentiment de certains professionnels qui se sentent menacés lorsque les limites de leur champ de compétence semble se mélanger avec d’autres professions. Ce sentiment engendre alors la crainte d’un affaiblissement du statut professionnel.
Une variété de raisons peuvent expliquer l’absence de discours commune entre professionnels de santé. Dans le prochain blog, je vous partagerai toute une liste d’exemples rencontrés par les kinésithérapeutes.
Merci pour votre lecture. Je vous invite à me suivre sur Instagram ou Twitter pour découvrir du contenu supplémentaire et échanger directement avec moi.
En attendant de se croiser à nouveau, prenez bien soins de vos patients et n’oubliez pas de prendre soin de vous.
Guillaume Deville
Références bibliographiques
(1) Stewart, Michael Adrian. 2018. “Stuck in the Middle: The Impact of Collaborative Interprofessional Communication on Patient Expectations.” Shoulder & Elbow 10 (1): 66–72. https://doi.org/10.1177/1758573217735325.
(2) Schön, Donald A. 1983. The Reflective Practitioner : How Professionals Think in Action. London: Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315237473.
(3) Rice, Kathleen, Merrick Zwarenstein, Lesley Gotlib Conn, Chris Kenaszchuk, Ann Russell, and Scott Reeves. 2010. “An Intervention to Improve Interprofessional Collaboration and Communications: A Comparative Qualitative Study.” Journal of Interprofessional Care 24 (4): 350–61. https://doi.org/10.3109/13561820903550713.
(4) Timmons, Stephen, and Linda East. 2011. “Uniforms, Status and Professional Boundaries in Hospital.” Sociology of Health and Illness 33 (7): 1035–49. https://doi.org/10.1111/j.1467-9566.2011.01357.x.