« Alors, il y a le mot compassion… »
Breaking news :
La douleur est compliquée à comprendre, à expliquer, à observer, et plus que tout, à vivre.
Video: What’s the point of pain?
(Vous trouverez le script de la vidéo traduit en français, à la fin de ce blog)
Cette vidéo a été coécrite par : Fiona Talkington, une écrivaine et journaliste vivant avec des douleurs neuropathiques chroniques à la suite d’un traitement de radiothérapie et chimiothérapie ; et par la Professeure Maria Fitzgerald, neuroscientifique experte dans le domaine de la douleur (University College London).
Depuis quelques temps, je partage cette vidéo avec des patients et je leur demande de me faire part de leurs impressions. Jusqu’à présent, les retours sont très puissants ! Un sentiment de solidarité en émane :
« Je me sens vu et compris »
« cette vidéo va m’aider à communiquer avec ma famille »
L’impact social de la douleur est majeur.
Dans nos programmes de gestion de la douleur, nous nous penchons de plus en plus sur la question suivante :
Comment communiquer la douleur et la détresse ?
Quelles difficultés de communication les personnes rencontrent-elles dans leurs divers environnements sociaux ?
En tant que cliniciens, que pouvons-nous faire d’autre que valider le sentiment d’isolation créé par la difficulté à communiquer, à être reconnu, cru, entendu ?
Comment les soutenir dans l’expression de leurs expériences et de leurs besoins ?
Comment accompagner leur autonomie dans le choix de ce qu’ils divulguent, ou non ?
Et les mots ont leurs limites… Quels sont les autres moyens de communication possible ?
« Alors, il y a le mot compassion… »
Face à la complexité et aux nombreuses incertitudes que soulève la présence de la douleur, cette vidéo rappelle l’existence du mot compassion. Le sens donné à ce terme varie grandement en fonction des auteurs. Voici la définition que j’utilise pour cet article de blog :
La compassion est la conscience empathique de la détresse de l’autre, combinée à un désir de l'alléger, impliquant ainsi deux actions :
reconnaître et valider la souffrance
prendre des mesures pour aider à la réduire.
Ce terme invite à explorer l’origine de la souffrance vécue, en ne se limitant pas à la sensation de douleur.
L’importance de la validation
Fiona Talkington le souligne dans ce passage de la vidéo :
“ Quand vous ne vous sentez pas cru, cela a un effet énorme sur votre bien-être. Et vivre avec cette pression, c'est presque aussi difficile que de vivre avec la douleur. “
Elle nous invite à repositionner le mot compassion comme valeur centrale du soin de l’individu et du soin de notre société.
Camille Leteurtre
Transcription de la vidéo, traduite en français :
FIONA TALKINGTON :
Je parle du volume de la douleur. Il y a des moments où elle est tellement intense, où le volume est si élevé, que je souhaite juste que quelqu'un vienne et dézippe mon corps pour l'enlever.
L'humanité a constamment essayé de définir la douleur… Ce n'est pas facile.
MARIA FITZGERALD :
La recherche actuelle identifie trois types de douleur.
Le premier type de douleur correspond à la plupart des douleurs que nous ressentons au quotidien. Ces douleurs tendent à disparaitre. Elles font partie de la protection de notre corps – elles nous amènent à nous reposer et à protéger la zone douloureuse afin de s'assurer qu'elle ne s'infecte pas, s'il s'agit d'une blessure. Ainsi, la douleur quotidienne peut être agaçante, mais elle est vraiment importante. Une vie sans douleur serait très dangereuse et mortelle.
Mais lorsqu’on considère les autres types de douleur, il est beaucoup plus compliqué de comprendre leurs fonctions…
FIONA TALKINGTON :
Si je devais vous dire comment est ma douleur en ce moment, cela ressemble vraiment à si quelqu'un avait essayé de me mettre une combinaison de plongée. Mais cette combinaison est couverte de tout petits clous qui sont vraiment, vraiment pointus. Et ils tirent sur cette combinaison tout le temps. Ça donne aussi l'impression qu'il y a des gens avec des perceuses sous la plante de mes pieds, et il y a plein, plein, plein de gens, et ils forent dans mes pieds. Et mes jambes, elles sont comme vraiment serrées, comme si quelqu'un avait des mains géantes qui me serraient vraiment, vraiment fort.
Fiona a guéri d’un cancer. Les traitements qu’elle a suivis ont pourtant abîmé ses nerfs.
C’est le deuxième type de douleur, la douleur dite neuropathique.
MARIA FITZGERALD :
La douleur neuropathique est intense et vécue comme des événements presque réels, comme des pincements et des pressions, très sévères, qui ressemble à des décharges électriques. Les experts cliniques sur la douleur sont capables d'identifier immédiatement la douleur neuropathique à cause de ces descriptions horribles.
Le troisième type de douleur est un mystère : c'est l'existence d’une douleur pour laquelle il n'y a pas de cause évidente. Cela ne signifie en aucun cas qu'elle n'est pas réelle. Elle est 100% réelle. C'est juste que, pour le moment, notre compréhension du corps est limitée, et nous n’arrivons pas à trouver de blessure ou comprendre l’origine de la douleur. Il y a encore tellement à découvrir à propos de la douleur, dans toutes ses formes, que nous ne comprenons pas encore…
Il est estimé que jusqu’à un quart de la population adulte vivrait avec des douleurs chroniques ; une douleur chronique étant définie comme tout type de douleur qui dure plus de trois mois.
Donc, nous nous retrouvons avec une population de personnes qui souffrent vraiment de douleur, cela interfère avec leur vie, mais nous ne comprenons pas d'où elle vient.
Les médicaments peuvent amener un soulagement, mais s’accompagnent souvent d’effets indésirables. Et ils ne fonctionnent pas pour tout le monde. Et quand ils fonctionnent, ils n’aident pas sur le long-terme.
FIONA TALKINGTON :
La douleur elle-même est un handicap caché. Je pense que c'est vraiment difficile à faire comprendre, parce que nous ne pouvons pas voir la douleur de quelqu'un d'autre. Je suppose que dans tous les domaines de la vie, si vous vous sentez compris, vous avez remporté la moitié de la bataille. Et je pense que ce chemin, ce parcours entrepris pour essayer de vous l’expliquer, est vraiment difficile. C'est absolument épuisant. Quand vous ne vous sentez pas cru, cela a un effet énorme sur votre bien-être mental. Et vivre avec cette pression, c'est presque aussi difficile que de vivre avec la douleur.
Mais pourquoi les gens devraient-ils comprendre s'ils ne l'ont pas vécu ?
Alors il y a aussi le mot compassion, et vous espérez qu'il y aura plus de compassion.
MARIA FITZGERALD :
Je pense que le grand mystère est de savoir pourquoi une proportion substantielle de notre population souffre de douleur n’ayant aucun but biologique évident.
FIONA TALKINGTON :
Je ne suis pas sûre que de mon vivant il y aura une potion magique qui soudainement fera disparaître toute la douleur. Mais je pense que plus nous en parlons, plus je me sens pleine d'espoir. C'est à ce niveau que je peux faire ma petite part. C'est la partie optimiste.
Quant à où vont tous les clous, les tournevis et les perceuses dans mes pieds, je ne sais pas.
Mais je dois croire que je trouverai mon chemin pour aller de l'avant.