Renforcer l'Adhésion aux Exercices : l’appréciation de la tâche par le kinésithérapeute

Par Guillaume Deville

Introduction

Comment un simple acte pendant la consultation peut-il influencer l'adhérence aux exercices prescrits ? Découvrons-le dans ce sixième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester (👉 ici 👈). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices. Avançons sur le 12e déterminant : l’appréciation de la tâche par le kinésithérapeute ou task appreciation.

Préambule

Pour m’assurer de comprendre le sens de ce déterminant, j’ai directement demander à Rachel Chester qui m’a précisé sa signification. Voici sa réponse : 

Appréciation de la tâche : la compréhension par le physiothérapeute de ce qu'il demande au patient lorsqu’il lui propose des exercices à la maison.”

“Pour le patient, cette tâche implique souvent un changement d'habitude, et de trouver le temps de faire les exercices peut-être au détriment d'autre chose. Elle peut demander au patient de surmonter un schéma installé de peur-évitement. Le patient doit surmonter différents obstacles ou difficultés potentiels.

Ce déterminant caractérise un comportement propre au physiothérapeute et comment il le communique au patient. C'est une forme d'empathie, où le physiothérapeute montre au patient qu'il comprend les difficultés liées à la réalisation des tâches demandées.

Un physiothérapeute qui ne ferait pas cela se contenterait de donner un programme d'exercices à domicile sans reconnaitre les difficultés possibles pour le patient.”

Intérêts

Nous rencontrons tous des patients pour lesquels il est facile d’intégrer un programme d’exercices dans leur quotidien. Ils l’ont déjà fait dans le passé, il ont l’habitude d’accorder du temps à des activités physiques, etc. Mais ce n’est pas le cas de tous les patients. Eluder la difficulté d’intégrer une nouvelle habitude dans le quotidien d’une personne c’est prendre le risque qu’elle ne se sente pas comprise. Ce comportement du soignant engendre beaucoup de problèmes. En voici quelques-uns : 

  • Si son interlocuteur semble penser que ces difficultés n’existent pas, ou qu’elles ne sont pas si importantes, la personne va naturellement les énumérer. Plus elle les verbalise, plus elle se convainc que c’est impossible pour elle. En Entretien Motivationnel, nous appelons cela le discours maintien : les raisons qu’un patient a de ne pas changer de comportement, ici de ne pas faire ses exercices.

  • Si la personne comprend que son soignant trouve très facile de pratiquer des exercices à la maison, alors que pour elle c’est compliqué, elle peut avoir peur de son jugement; peur qu’il la trouve peu investie, incapable, nulle… Plus la confiance que cette personne a en elle est basse, plus il sera important pour elle de la protéger. Elle va donc automatiquement trouver des raisons d’expliquer pourquoi elle ne va pas y arriver. Elle se protège alors du jugement du soignant et elle se protège surtout du jugement qu’elle se porte à elle-même, son estime de soi. Elle tombe alors en dissonance cognitive, un fonctionnement automatique, inconscient et tout à fait normal. Quand vous avez l’impression qu’une personne vous avance des “excuses bidons”, il est bien possible qu’elle soit en dissonance cognitive. Comprendre ce processus permet de ne pas s’agacer, ce qui empire évidemment la situation, de ne pas insister et de reprendre un chemin plus approprié dans l’échange avec cette personne. Ce sont nos propos jugeants qui provoquent cette dissonance cognitive. Soyons vigilants.

  • Une personne qui a une grande confiance en elle tombera moins facilement en dissonance cognitive. Mais si nous ne reconnaissons pas les difficultés qu’elle peut rencontrer, elle peut ressentir que finalement nous n’en avons pas grand chose à faire de ce qu’elle pense, de ce qu’elle vit. Il est naturel qu’elle se demande si nous sommes la bonne personne pour l’aider. Comme dans les situations précédentes, l’alliance thérapeutique va en pâtir.

Un piège terrible

Quand nous sommes convaincus que nos conseils vont aider un patient, notre bienveillance nous pousse à vouloir qu’il les applique. Un patient qui “résiste” avec du discours maintien va nous frustrer : nous faisons tout pour l’aider, nous dépensons une énergie folle, mais il n’accepte pas d’aller dans la bonne notre direction. Comment est-il possible de dire que nous ne sommes pas empathiques alors que nous avons compris ce qu’il vit et que nous faisons tous ces efforts pour trouver la solution à ses souffrances ? 

Une vidéo m’a aidé à comprendre ce qui ce joue. La première fois que je l’ai vue il y a 10 ans, je ne l’ai pas comprise. J’étais enfermé dans cette vision qu’il suffit de résoudre un problème pour que le patient se sente mieux et je ne comprenais pas pourquoi il pouvait s’opposer à mes propositions de solutions. Désormais je comprends qu’une étape cruciale fait toute la différence : manifester son empathie. Voici la vidéo.

Idées d’application pratique : comment éviter le piège

Comme l’a démontré le travail de recherche de Rachel Chester, manifester son empathie, et donc dire au patient que nous comprenons ce qu’il vit, augmente la probabilité que ce dernier pratique son programme d’exercices. Mais finalement c’est contradictoire avec ce que je vous ai partagé plus tôt ! En effet, si nous soulignons les difficultés que le patient va avoir à faire ses exercices, nous allons partir dans du discours maintien. La probabilité qu’il passe à l’action devrait donc diminuer. Dans les faits, tout dépend de la manière dont nous nous y prenons.

Pour manifester son empathie, l’Entretien Motivationnel s’appuie beaucoup sur l’utilisation des reflets. Ce sont des phrases affirmatives qui reprennent ce que le patient vient de nous dire. Il en existe plusieurs types, mais ce n’est pas le sujet. Voyons concrètement à quoi ça peut ressembler.

Soignant : “Nous avons constaté que cet exercice vous soulage. Que penseriez-vous de le reproduire chez vous ?”

Patient : “Oui en effet ça m’a fait du bien. Par contre j’ai peur que ce soit compliqué de le faire chez moi. J’ai pas beaucoup de temps car mes enfants et ma femme on besoin de moi. Nous traversons une période difficile en ce moment.”

Scénario 1 : le soignant nie l’émotion du patient

Soignant : “Pourtant c’est vraiment important que vous fassiez cet exercice si vous voulez vous en sortir.”

Scénario 2 : le soignant perçoit l’émotion du patient, il veut l’aider en le rassurant et en lui trouvant une solution

Soignant : “Vous pourriez en parler avec eux. Ils vont comprendre que vous avez besoin de ce temps pour aller mieux.”

Patient : “Oui, mais … {différentes raisons qui font que le patient va rejeter la solution proposée} …”

Scénario 3 : le soignant manifeste son empathie

Soignant : “Ça fait beaucoup pour vous en ce moment, entre vos douleurs et les difficultés que vous rencontrez avec votre famille, ça ne doit pas être facile.”

Patient : “C’est vrai que ce n’est pas ma meilleure période. Il faut vraiment que je m’en sorte.”

Soignant : “Comment vous pourriez faire pour trouver des moments pour vous soulager ?”

Patient : “Je pense qu’il faut que j’en parle à ma femme et à mes enfants. Ils savent que j’ai mal et ils essaient souvent de m’aider mais comme ils ne savent pas quoi faire c’est frustrant pour eux. Je sais qu’ils sont prêts à faire des efforts pour que j’aille mieux. Je vais leur en parler.”

Comme vous pouvez le voir, pour la même idée, la même solution, si la personne s’est sentie comprise et qu’elle a trouvé l’idée par elle-même, ce sera beaucoup plus facile pour elle d’envisager de l’appliquer. Manifester son empathie avant de partir dans la recherche de solution montre au patient que nous prenons en compte ce qui lui arrive, que nous le traitons avec humanité. Nous validons ses difficultés, ce qui peut le rassurer dans le sens où si c’est compliqué pour lui, ça ne veut pas dire qu’il est nul ou incapable.

Conclusion 

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X et Instagram

Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Références

Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.

Miller, W., & Rollnick, S. (2013). L'Entretien Motivationnel : Aider la personne à engager le changement. Interéditions.

« Peut-on évaluer l'empathie ? » - Par Julie Grèzes | ENS-PSL - https://youtu.be/EQZlNXKSp3Q?si=v9gTOkWghBtHNKVC

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