đ Marre dâentendre vos patients se plaindre ? Tout changer grĂące aux boosters de changement đ
Nos patients nous consultent lorsque quelque-chose ne va pas dans leur vie. Leurs problématiques physiques vont souvent réduire voire supprimer les activités qui leur plaisent. Elles alourdissent leur quotidien. Cette perte de fluidité génÚre en eux des émotions désagréables.
Pour remĂ©dier Ă leur problĂ©matique de santĂ©, il est parfois nĂ©cessaire quâils modifient plus ou moins fortement leurs comportements. Ces changements ont un coĂ»t qui peut ĂȘtre temporel, Ă©motionnel, physique, financier, etc. La liste est longue⊠LâamĂ©lioration de leur situation sera conditionnĂ©e par leur capacitĂ© Ă dĂ©passer ce(s) coĂ»t(s), condition impĂ©rative pour quâils mettent en Ćuvre ces changements.
Mais bien souvent, les arguments ne manquent pas pour justifier de ne pas payer ce(s) coût(s) !
En gĂ©nĂ©ral, ils expriment un discours qui nous apparaĂźt comme trĂšs « nĂ©gatif », dĂ©faitiste ou exagĂ©rĂ©. Nos patients dĂ©peignent un tableau inconfortable dâune situation dans laquelle ils se sentent « coincĂ©s ».
De notre cĂŽtĂ©, recevoir ce type de discours peut ĂȘtre Ă©nergivore, dĂ©sagrĂ©able, voire agaçantâŠ
Comment renverser cette tendance ?
Pourrions-nous utiliser leurs mots pour booster leur motivation à faire ces changements nécessaires ?
Prenons lâexemple dâun patient Ă©puisĂ© par ses douleurs de genou : disonsâŠLaurent. La course est son sas dâĂ©vasion et de dĂ©passement de lui, son seul vrai moment de libertĂ©. Depuis plusieurs semaines, il est Ă fleur de peau Ă©motionnellement car il ne peut plus courir. Lorsquâil arrive en sĂ©ance, Laurent rĂąle, se plaint. Il est dĂ©sabusĂ©, saoulĂ©, dĂ©motivĂ©, irritable⊠Son discours vous parait tellement nĂ©gatif que ça vous fatigue dâavance dâimaginer lâĂ©nergie quâil va vous falloir dĂ©ployer pour lâaider Ă sortir de cette dynamique. Vous lui avez prescrit des exercices mais le coĂ»t perçu par Laurent pour les effectuer est Ă©norme ! Il croule sous le travail et ne voit pas oĂč trouver le temps de les rĂ©aliser. Alors que, vous en ĂȘtes certain, ils pourraient tellement amĂ©liorer sa situation ! Ainsi, vous subissez chacune de ses prises de parole⊠Laurent vous semble de plus en plus antipathique.
Comment changer le filtre de notre vision ?
Pour y rĂ©flĂ©chir, je vous invite Ă penser Ă une situation rĂ©cente que vous avez vĂ©cue comme dĂ©sagrĂ©able. Peu importe lâobjet, remĂ©morez-vous ce qui vous est arrivĂ©. Vous y ĂȘtes ?
Bien, maintenant rappelez-vous des Ă©motions que vous avez ressenties : frustration, impatience, agacement, colĂšre, tristesse, rage ? Elles peuvent ĂȘtre trĂšs diverses. Accordez-vous un temps dâintrospection car cet exercice nâest pas toujours facile. Vous pouvez vous appuyer sur lâimage ci-dessous pour les reconnaĂźtre.
Si vous deviez raconter cette situation Ă un ami, il percevrait certainement chez vous un « discours trĂšs nĂ©gatif », rempli dâĂ©motions dĂ©sagrĂ©ables.
Lors des Ă©tapes dĂ©crites dans sa dĂ©marche de Communication Non Violente, Marshall Rosenberg nous propose de chercher Ă reconnaĂźtre nos Ă©motions. Selon lui, elles sont le fruit de lâexpression de nos besoins fondamentaux. Une Ă©motion agrĂ©able reflĂšterait un besoin satisfait, et par opposition une Ă©motion dĂ©sagrĂ©able : un besoin insatisfait.
Il nous invite à percevoir des situations vécues sous un prisme inhabituel, en se posant les questions suivantes : « Quelle émotion me traverse ? A quel besoin, satisfait ou non, je pourrais relier cette émotion ? »
Ainsi, percevoir de la frustration ou de la colĂšre peut correspondre Ă un besoin laissĂ© insatisfait par la situation rencontrĂ©e. Il peut sâagir dâun besoin dâautonomie, dâaffirmation de soi, ou encore de reconnaissance.
Il nâest pas toujours simple dâidentifier le besoin sous-jacent. Certains sont plus Ă©vidents que dâautres Ă repĂ©rer. Avoir la capacitĂ© de discriminer ses propres besoins demande une rĂ©elle attention Ă soi et sâaffine avec lâentraĂźnement. Il existe dâailleurs des outils « dâalphabĂ©tisation » de nos Ă©motions et besoins. Par exemple, lâutilisation de « cartes de besoins » peut nous aider.
Revenons Ă vous !
Dans la situation que vous avez choisie précédemment, vous avez identifié une émotion. à quel besoin fondamental reliez-vous cette émotion ?
Cette Ă©tape est importante car une fois que vous connaissez ce besoin insatisfait, M. Rosenberg propose alors de rĂ©flĂ©chir Ă un moyen de le satisfaire. En trouvant une stratĂ©gie qui peut combler ce besoin, vous transformerez votre Ă©motion dĂ©sagrĂ©able en Ă©motion agrĂ©able. Imaginez que vous ĂȘtes en train dâappliquer cette stratĂ©gie qui comble votre besoin, quelles Ă©motions pourriez-vous alors ressentir ? Probablement des Ă©motions agrĂ©ables. đ
Personnellement je trouve ça fascinant. Voir que nos Ă©motions peuvent sâexpliquer et se modifier de façon aussi juste et appropriĂ©e. Il suffit de nous centrer sur nous-mĂȘme et changer notre vĂ©cu de la situation.
Revenons Ă Laurent.
Il est désabusé, inquiet et démotivé. Cherchons à entendre les besoins qui se cachent derriÚre ces émotions désagréables.
On pourrait dĂ©tecter une insatisfaction de son besoin dâautonomie, de libertĂ©, de dĂ©tente⊠Laurent vous paraĂźt-il toujours aussi antipathique ? Pour ma part, envisager la situation sous cet angle mâaide Ă rentrer en empathie avec les patients.
Mais une fois que nous avons changé notre maniÚre de vivre le discours de notre patient. Que pouvons-nous faire ensuite ?
En Entretien Motivationnel, « les reflets de sentiments » permettent de manifester notre empathie. Ils consistent Ă nommer lâĂ©motion que nous percevons dans le discours de notre patient. Nous pouvons choisir dây associer le besoin sous-jacent. Voici ce que nous pourrions dire Ă Laurent : « vous semblez dĂ©sabusĂ© parce que votre besoin de vous dĂ©fouler nâest pas comblĂ© actuellement ». Ce tĂ©moignage de notre empathie pourrait aider Laurent Ă se sentir compris. De son cĂŽtĂ©, sa confiance dans votre capacitĂ© Ă lâaider va se renforcer. Et comme son discours dĂ©fensif va sâattĂ©nuer, vous allez aussi reprendre confiance dans sa capacitĂ© Ă faire ce quâil faut pour aller mieux. Lâalliance thĂ©rapeutique va se renforcer de façon bilatĂ©rale.
Moins par moins = plus
Un autre point me parait intĂ©ressant et complĂ©mentaire Ă exploiter : vous pouvez accompagner Laurent dans sa perception du coĂ»t associĂ© Ă la pratique de vos exercices. LâEntretien Motivationnel va vous permettre de le guider dans lâexploration de ses motivations Ă changer et Ă ne pas changer, son ambivalence. Une fois que vous serez en accord avec Laurent sur ses objectifs de traitement et les moyens Ă utiliser pour les atteindre, vous pourrez guider sa rĂ©flexion en direction du changement.
Pour cela, vous utiliserez le « discours changement » : les capacitĂ©s, les raisons, les envies, et les besoins qui peuvent pousser quelquâun Ă changer. Globalement, tout ce qui correspond Ă la volontĂ© de changer du patient. Le discours changement comporte les avantages du changement, mais aussi les inconvĂ©nients de ne pas changer. Si nous repensons aux besoins, nous pourrions dire que penser aux avantages du changement permet de se centrer sur les Ă©motions positives que Laurent pourra ressentir une fois son besoin satisfait. Et discuter des inconvĂ©nients de ne pas changer lui fera ressentir les Ă©motions nĂ©gatives liĂ©s Ă son besoin insatisfait. Ces deux expĂ©riences vont faire grandir sa volontĂ© de changer.
Plus concrĂštement, Laurent vous dit quâil nâa pas le temps dâeffectuer des exercices en autonomie pour son genou. Ici, les exercices en autonomie reprĂ©sentent le changement Ă rĂ©aliser. Dâun point de vue physique ou Ă©motionnel, les avantages au changement nous semblent assez clairs : activation musculaire, ou amĂ©lioration de lâendurance musculaire et de la proprioception, retrouver ses moments de dĂ©foulement, de sĂ©rĂ©nitĂ©âŠ
Si nous considĂ©rons maintenant les inconvĂ©nients Ă ne pas changer, on pourrait recenser : la persistance de la douleur, la restriction du besoin de libertĂ© obtenu lors de la course Ă pied, lâirritabilité⊠Tant dâarguments en faveur du changement ! La plainte qui nous apparaissait comme un discours nĂ©gatif, nâest en rĂ©alitĂ© rien dâautre que du discours changement ! En dâautres termes : un levier Ă activer pour faciliter le changement.
Comment faire pour activer ce levier ?
Guider le patient Ă travers son ambivalence Ă changer, câest Ă la fois ne pas aborder les raisons de ne pas changer (en Entretien Motivationnel : ModĂ©rer le Discours Maintien) et donner du poids aux motivations Ă changer (Cultiver le Discours Changement ).
Voici ce que nous pourrions demander Ă Laurent :
« Quels seraient pour vous les inconvĂ©nients Ă ne pas mettre en place les exercices que lâon a dĂ©finis ensemble, ceux qui vous font du bien ? »
ou
« Que pourrait-il se passer si vous ne les mettez pas en place ? »
Les rĂ©ponses quâil va nous donner seront probablement du discours changement. Nous pourrons alors le renforcer en reformulant ces rĂ©ponses avec des reflets comme :
« Vous vous rendez compte que vos douleurs pourraient perdurer et vous empĂȘcher de faire autant de course Ă pied que vous le souhaitez »,
ou :
« Ne pas pouvoir courir vous rend irritable et vous prive de votre liberté ».
Ces enchainements de questions ouvertes et de reflets permettent donc donner du poids aux motivations Ă changer, autrement dit : de Cultiver le Discours Changement du patient.
En changeant notre filtre, les discours nĂ©gatifs de nos patients (plaintes, besoins non nourris) deviennent ses inconvĂ©nients Ă ne pas changer. Nous entendons alors du discours changement. A nous dâutiliser ces boosters de motivation !
Inverser la tendance
Voici un autre outil que nous pouvons utiliser afin de poursuivre la dynamique vers le discours changement : inverser la tendance.
Il Ă©voque chez moi lâexpression « chercher Ă voire le verre moitiĂ© plein plutĂŽt quâĂ moitiĂ© vide ».
Prenons une phrase que notre fameux Laurent aurait pu prononcer :
« Jâen ai marre de ne plus pouvoir courir, je me sens coincĂ©, jâai la tĂȘte qui va exploser Ă force de ne plus faire ma sortie le dimanche !!! »
Dans cet exemple, inverser la tendance pourrait ressembler Ă :
« Vous avez envie de retrouver votre libertĂ© et de pouvoir vous vider la tĂȘte Ă nouveau. »
Ici, lâart du « guidage » consiste Ă transformer le discours perçu comme « nĂ©gatif » en une expression des besoins insatisfaits. La connaissance de la mĂ©canique utilisĂ©e en Communication Non Violente est ici un vrai atout.
Nous pouvons nous servir des émotions désagréables reconnues chez le patient et les transformer en leviers pour le changement :
Ămotions dĂ©sagrĂ©ables = besoins insatisfaits
đ pointer les envies pour inverser la tendance et trouver des moteurs au changement.
« Vous nâen pouvez plus parce que vous auriez besoin de dĂ©tente ».
Plus Laurent prend conscience de tout le discours changement quâil a en lui, plus il pourra envisager de dĂ©passer le coĂ»t liĂ© Ă la mise en Ćuvre de ses exercices.
En résumé
Nos patients nous consultent parce quâils vivent des dĂ©sagrĂ©ments physiques qui impactent leur vie. Ătre attentifs Ă leur discours est une porte dâentrĂ©e vers des stratĂ©gies dâaccompagnement qui peuvent leur faciliter la vie et rendre nos pratique plus agrĂ©able et efficace.
Leurs plaintes perçues comme du « discours négatif » expriment bien souvent du discours changement ou, au minimum, des leviers à son apparition.
Les inconvénients de ne pas changer appartiennent au discours changement et cette piste semble intéressante à explorer.
Le repĂ©rage des Ă©motions du patient et la mise en lien avec les besoins sous-jacent sont un puissant moyen de manifester notre empathie. En associant ces outils et techniques, nous donnons Ă nos patients la possibilitĂ© de rĂ©Ă©valuer le coĂ»t perçu Ă mettre en place des changements comme lâadoption dâexercices. Nous les aidons Ă passer Ă lâacte. Et de notre cĂŽtĂ© de soignants, nous passons de bien meilleures sĂ©ances đ
Patient Ă©coutĂ©, guidĂ© et kinĂ© moins saoulĂ© đ !
Bibliographie
W. Miller et S. Rollnick, Lâentretien motivationnel (aider la personne Ă engager et rĂ©aliser le changement) 2024
M. Rosenberg, les mots sont des fenĂȘtres (ou bien ce sont des murs). 2016