Améliorer votre communication clinique avec l’Entretien Motivationnel : Les étapes clés à connaître

Par Charles Lagaert et Guillaume Deville

 

En tant que cliniciens, nous sommes désormais attachés à respecter une pratique biopsychosociale (BPS) dans les soins apportés à nos patients. Toutefois, ces notions restent souvent vagues et manquent parfois d’exemple d’application clinique concrète. La communication est reconnue comme un possible ‘pain killer’ (antalgique) que nous pouvons utiliser avec nos patients. La communication tient donc une place de choix dans notre boîte à outil BPS. Mais en pratique réelle, lorsque nous cherchons à guider un patient dans son cheminement vers un meilleur état de santé, il reste complexe de tisser des liens entre ses mots à lui et nos mots à nous.

Prenons l’exemple d’un patient lombalgique chronique : une situation assez classique pour bon nombre d’entre nous. Peu importe que nous, cliniciens, nous commencions notre interrogatoire par une question ouverte ou fermée, le patient a souvent besoin d’exprimer ce qu’il ressent et comment il conçoit sa douleur. Parfois, il inonde notre entretien d’un flot de paroles qui nous paraît sans fin et parfois sans rapport avec ce que nous pensons pertinent à connaître pour le soigner. (Et pourtant, les éléments qu’il nous partage se rapportent parfois aux dimensions psychologiques ou sociales du problème pour lequel il vient nous consulter.)

Si jamais nous adoptons la posture d’un soignant qui doit résoudre le problème de notre patient, lorsqu’il nous parle de sa détresse émotionnelle ou bien de certains éléments sa vie personnelle ou professionnelle, nous pouvons nous sentir impuissants face à ces problématiques sur lesquelles nous ne pourrons avoir aucun impact direct. Dans ce genre de moment, nos émotions peuvent nous rattraper. Nous pouvons nous sentir à la fois perdu face à l’immensité des informations que le patient nous évoque. Nous pouvons craindre de voir le patient exprimer des émotions que nous ne sommes pas certains de pouvoir gérer comme des pleurs ou de la colère. Nous pouvons alors avoir l’impression de perdre le contrôle de l’entretien. Cette situation est tellement frustrante par rapport à la position d’expert que nous avons pu adopter dans de nombreuses autres prises en soins et qui a semblé aider de nombreux patients.

Ce que je vous propose maintenant, c’est de vivre une expérience personnelle pour mieux comprendre pourquoi ces patients agissent de cette manière. Prenez un temps pour vous, et cherchez un moment qui vous a fait souffrir dans votre vie personnelle. Vous l’avez ? Si vous ne le trouvez pas, pensez à un de vos patients complexes et essayez de vous mettre dans sa peau un instant. À ce moment précis, quelles pensées auriez-vous eu envie de partager à une personne qui se serait proposée de vous écouter ? une personne que vous savez être prête à vouloir vous aider ? Auriez-vous souhaité qu’il vous mette dans une case pour pouvoir vous donner immédiatement ses solutions à votre problème ? Ou auriez-vous préféré qu’il écoute, au moins dans un premier temps, votre souffrance et votre détresse ? Les deux réponses sont évidemment possibles. Toutefois, je vous invite à réfléchir à ce que vous pourriez faire pour les patients qui ressentent le besoin d’être d’abord entendu ? pour qui c’est une étape nécessaire avant d’envisager une solution qui nécessite un changement de comportement ? ces patients qui ne pourront pas s’engager dans ce type de réflexion tant qu’ils n’ont pas la certitude que vous comprenez leur souffrance, que vous comprenez tout ce qui leur arrive ?

« People don’t care how much you know
until they know how much you care. »
Theodore Rosevelt

Quoi qu’il en soit, en tant que soignant, nous voulons le bien de notre patient. Mais parfois, poussé par l‘envie urgente d’aider, notre bienveillance prend le dessus sur l’écoute de notre patient. Pourtant, dans ces situations, il est parfois nécessaire de prendre un temps pour en gagner par la suite. Il s’agit alors de partir à l’exploration de la compréhension du patient. Qu’est-ce qui fait qu’à ce jour le patient pense comme ça ? Quels sont les événements, les expériences ou encore les paroles entendues qui ont construits ses représentations de sa situation et le comportement qui en découle ?

Si le patient parle ici de différents sujets qui pour vous ne semblent pas liés à sa douleur, pour lui ces informations émergent des émotions en lien avec son contexte social et la perception psychologique de son problème et de ses symptômes.

Dans ces moments-là, si nous ne sommes pas prêts à nous focaliser sur le patient plutôt que sur notre raisonnement clinique, alors nous ne comprenons pas le patient. Nous ne pouvons pas comprendre ses choix et nous finissons par juger son comportement, par penser qu’il est responsable de son problème et du fait qu’il n’arrive pas à s’en sortir. Pour autant, il ne s’agit pas d’un manque de motivation. Il s’agit juste d’une perception différente. C’est l’image du 6 et du 9 ci-dessous. Tout dépend du point de vue. Qui a raison ? Qui a tort ? Les deux personnages défendent des vérités qui ont la même légitimité. Ils ont simplement un angle de vue différent de la même situation.  

Comment faire pour gérer ce genre de situation ?

Notre écoute, les mots que nous choisissons d’utiliser et la manière de les organiser sont alors des déterminants clés pour aider notre patient.

Comment utiliser le flot de parole du patient pour l’accompagner vers un chemin favorable pour lui ?  

En Entretien Motivationnel, le praticien chemine à travers 4 processus pour guider le patient à explorer une ou plusieurs ambivalences éventuelles et l’aider à avancer vers un changement de santé favorable pour lui, qu’il aura choisi et avec lequel le praticien sera en accord.

 

Engager le patient dans la relation thérapeutique : l’alliance

Le premier processus consiste à bâtir et entretenir l’alliance thérapeutique :

Cette tâche se réalise en cherchant à comprendre profondément notre patient, tout en l’acceptant pleinement, tel qu’il est, lui et ce qu’il a construit, sans se laisser emporter par nos jugements automatiques.

Voici une liste non-exhaustive de moyens à notre disposition pour donner des bases solides à la prise en soins d’un patient et l’engager dans la relation thérapeutique :

  • Accueillir ses émotions et ses représentations et chercher avant tout à les comprendre

  • Savoir centrer notre attention sur lui et pas seulement sur notre raisonnement clinique et le laisser transparaitre dans notre communication en lui manifestant notre empathie par exemple.

  • Lui offrir de l’espoir

  • Rester authentique et savoir respecter nos propres valeurs 

Pour y parvenir, nous pouvons utiliser des questions ouvertes ou des reformulations (appelés « reflets » en Entretien Motivationnel. Ces outils sont précieux pour manifester notre empathie face au vécu du patient : « j’entends que vous souffrez beaucoup en ce moment ». Nous pouvons le questionner sur ce qu’il vit actuellement. Et au rythme qui conviendra à chacun nous pourrons explorer ce qu’il comprend de ses symptômes, comment il pense que sa situation va évoluer, ce dont il pense avoir besoin, et toutes autres éléments également utiles à notre raisonnement diagnostique.

 

Établir l’objectif de l’échange : la focalisation

Le deuxième processus consiste à définir le sujet de la consultation aujourd’hui : quel sera notre objectif commun ? et nécessite-t-il un changement de comportement ?

Allons-nous parler du plat ma grand-mère a cuisiné ce week-end ou des symptômes de notre patient et de leurs conséquences sur sa vie ? Plus précisément il s’agit de définir avec le patient ce qu’il souhaite changer de sa situation actuelle et le moyen pour y parvenir. Comment, quel moyen allons-nous mettre en œuvre pour l’aider à modifier l’impact de son problème et à reprendre le contrôle sur sa vie ? Il sera crucial d’identifier un moyen adapté du point de vue de notre patient et aussi de notre point de vue de soignant.  

 

Renforcer la motivation du patient : l’évocation

Dans cette troisième étape, nous travaillons en réelle collaboration avec le patient. Il devient l’acteur principal des paroles qui vont l’aider.

Main dans la main, nous explorons l’importance qu’attache le patient à changer sa situation. Le faire verbaliser autour de cette question permet au patient de prendre conscience de ses désirs, de ses raisons et de ses besoins de modifier ce qu’il vit actuellement. L’importance du changement pour le patient sera comme l’essence pour une voiture : elle le fera avancer et lui permettra parfois de découvrir de nouveaux horizons. La priorité sera de s’appuyer sur les motivations déjà présentes au sein du patient, d’approfondir celles qu’il nous exprime (avec des reflets par exemple), et de faire émerger celle qui ne lui viennent pas spontanément à l’esprit. En tant que thérapeute, notre travail ne consistera pas à trouver nous-même ce qui pourrait motiver notre patient. Le risque de tomber à côté étant souvent trop important et l’effort nécessaire bien plus grand par rapport à la stratégie de s’appuyer sur la réflexion du patient. Même si notre réflexe correcteur (lien vers le blog d’Aurélie et GD) nous crie de le faire, en Entretien Motivationnel, nous proposons de rester vigilants à ne pas l’écouter pour éviter les pièges qui l’accompagnent. Nous nous devons de croire en les capacités de nos patients à faire les bons choix pour eux-mêmes, ce qui peut parfois nous terrifier.

En somme, l’importance que le patient attache à un changement de comportement sera une des clés de sa réussite. En effet, qui aurait envie de faire l’effort de changer, de surmonter les difficultés qui en découlent, si ce changement n’a que peu d’importance ?  Et une fois que le patient a verbalisé une importance suffisante en rapport avec son changement de comportement, la proposition sera de travailler sur la confiance qu’il s’accorde dans sa capacité à le réussir. Quel est son niveau de confiance dans le fait qu’il soit capable de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour reprendre le contrôle de sa vie ? Les mots permettront d’explorer cette question, de faire le point sur son sentiment d’efficacité personnelle. Et à nouveau, nous pourrons par exemple faire émerger les ressources du patient pour l’aider à augmenter sa confiance. Notre travail sera de la renforcer suffisamment, avec différentes stratégies, pour qu’il se sente capable d’initier les premières étapes de son changement.

 

Aider à passer à l’action : la planification

Une fois que la motivation sera suffisante, à la fois sur l’importance du changement et sur la confiance du patient à effectuer ce changement, il s’agit de l’accompagner dans la planification de sa mise en œuvre. Nous pouvons facilement retrouver nos repères à cette phase. Toutefois, même si nous avons plein de « bonnes » idées sur la manière de réaliser un exercice (par exemple) : à quel moment le faire dans la journée, quels outils employer pour ne pas l’oublier, sur quoi s’appuyer pour le réaliser correctement, etc., la priorité sera donnée à ce que pense le patient et aux solutions qu’il peut envisager lui-même.

Nous trouvons tous régulièrement des solutions qui conviennent à nos patients. Lorsque c’est le cas, ça nous fait du bien. Nous nous sentons bon thérapeute. Il est donc logique de vouloir essayer à chaque fois. Cependant, lorsque le patient retoque notre solution, c’est parfois difficile à encaisser. Nous essayons de l’aider et lui nous renvoie dans les cordes avec une « excuse à la noix ». Parfois, un réflexe sera de défendre notre idée en cherchant à la justifier ou à contourner la raison qui fait que notre patient ne la prend pas. Le jeu du « oui mais » peut alors débuter et entamer dangereusement l’alliance thérapeutique. Ce serait quand même dommage de devoir revenir à la première étape !  

Et si cette « excuse à la noix » était simplement une raison qui fait que notre idée n’est pas adaptée à la vie de ce patient ? Pour contourner cette difficulté, une fois de plus l’Entretien Motivationnel propose de réprimer notre réflexe correcteur et de s’appuyer en priorité sur les apports du patient. Très souvent le patient est capable d’identifier lui-même tout ce qui lui faut pour arriver à passer à l’action. Et si parfois, ses idées nous semblent potentiellement inadaptées étant donné notre expérience avec d’autres patients, nous pouvons alors lui partager notre point de vue en utilisant l’outil du DDPD (lien vers playlist des vidéos YouTube). Une place existe donc bel et bien pour nos idées. Simplement, elles ne sont plus prioritaires.

 

La pratique de l’Entretien Motivationnel implique de naviguer à travers 4 processus :

  • Créer l’alliance et la renforcer : engagement dans la relation

  • Focaliser sur un objectif commun : focalisation

  • Renforcer la motivation à atteindre cet objectif : évocation

  • Définir sa mise en œuvre : planification

Les processus, les outils et l’esprit motivationnel constituent les trois piliers de l’Entretien Motivationnel. Ils sont interdépendants et ne peuvent pas offrir la même efficacité si l’un deux est manquant ou bien insuffisamment présent. Utilisés avec habileté, ils peuvent aider les patients à faire améliorer leurs problématiques vers un résultat plus en accord avec leurs valeurs.

Pour aller plus loin


Si vous êtes intéressés pour découvrir acquérir et développer ces compétences, l’Agence EBP a fait le choix de proposer un cursus de formation complet en Entretien Motivationnel. Ce choix courageux découle de la nécessité de se former suffisamment, sur au moins 6 jours au total, et de bénéficier d’un temps d’analyse de pratique afin d’atteindre un niveau de compétence suffisant pour faire une différence dans la pratique clinique.

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