Le silence en Entretien Motivationnel : un vide plein d’esprit.

Par Aurélie Lacour





« Silence sur le plateau...action ! »

« Nous allons procéder à 1 minute de silence… »

« Silence...les joueurs sont prêts ! »

« Silence mesdames et messieurs les députés ! »

« Silence…dans la bibliothèque ! »

« Silence…à vos marques…prêts… partez ! ».

Tant de contextes dans lesquels la notion de silence est socialement acceptée. Ces silences nous renvoient à des marques de respect, de solennité, de recueillement, de concentration, ou encore de recherche d’apaisement. Mais alors pourquoi notre perception du silence est-elle différente lorsque nous sommes avec nos patients ? Qu’est ce qui fait que nous utilisons si peu cet outil ? Qu’est-ce qui fait que nous pouvons ressentir de l’inconfort lorsqu’un silence s’installe en consultation ?

Prenons l’exemple d’une situation clinique :

Nous sommes face à une patiente que nous rencontrons pour la première fois. Cette dame consulte à la suite d’une chirurgie de cancer du sein. Elle est réservée. Peut-être qu’elle redoute de raconter une fois de plus son histoire ? En réponse à nos premières questions, elle nous explique qu’il y a quelques années, elle a aussi été opérée d’une prothèse totale de hanche. Malheureusement, elle n’a pas bien récupéré ses capacités. De plus, elle ressent des douleurs à l’autre épaule depuis plusieurs semaines à force d’utiliser son bras non opéré. Et en plus de ça, elle est très gênée par une douleur qui part de son dos et descend dans sa jambe. Le tableau clinique commence à nous paraître bien complexe et nous nous demandons si nous allons réussir à garder le focus de la consultation sur rééducation post-opératoire de sa chirurgie du sein.

En souhaitant remettre la patiente au centre de la prise de décisions et pour tenter de gagner du temps, nous lui demandons : « Quels sont vos objectifs en venant faire des séances de kinésithérapie ? » La patiente ne répond pas immédiatement. Elle semble perplexe. Elle hésite, mais ne répond toujours pas. Un silence s’installe… Nous nous regardons dans le blanc des yeux. Face à cette situation, il est commun d’embrayer avec une autre question : « Qu’est-ce qui vous gêne le plus actuellement dans votre quotidien ? » Mais une nouvelle fois, cette patiente ne semble pas savoir quoi répondre. Pour venir à sa rescousse, nous enchainons avec une série de questions : « Qu’est ce qui compte le plus pour vous en ce moment ? Est-ce que vous préféreriez que l’on s’occupe du dos qui vous fait souffrir ? Cela doit être difficile de voir ressurgir vos douleurs lombaires après l’épreuve que vous avez dû vivre ces derniers mois. Comment se comportent vos douleurs dans la jambe ? Sont-elles constantes ?» La patiente nous fixe toujours, et rien ne sort de sa bouche…

Que se passe-t-il ?

En présence d’un silence, nous pouvons vivre des émotions variées. Que se passe-t-il en nous lorsque le patient reste muet devant nos questions ? Nous pouvons avoir peur de perdre du temps par exemple : avec autant de sujets à aborder, le sein, le bras opéré, l’épaule opposée, le bas du dos et la jambe, etc. nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher du temps avec un silence. Nous voulons être efficace. Et lorsque la réponse d’un patient tarde à venir, nous enchaînons facilement avec une autre question essayer de l’aider à mieux comprendre ce que nous voulions dire. Nous savons qu’un patient logorrhéique peut être difficile à gérer, mais quelqu’un qui met trop de temps à répondre à nos questions risque de contrarier le timing serré de la séance.

Dans notre situation clinique, nous venons de questionner notre patiente mais elle reste silencieuse. Comme il est facile de nous sentir gêné par cette absence de réponse, par ce silence, nous imaginons facilement que la patiente est également mal à l’aise. Cet inconfort que nous ressentons peut provenir d’une peur de ce que pourrait penser notre patiente si nous laissons planer un silence, une peur de son jugement. Comme Guillaume Deville l’a rappelé dans un blog précédent, nous préjugeons facilement de ce que nos patients pensent. Ici notre patiente pourrait penser que nous ne savons pas où nous allons. Et peut-être que nous pouvons alors ressentir cette peur nous-même : « Vais-je arriver à m’en sortir ? Cette patiente semble avoir beaucoup de problèmes. Elle s’attend sans doute à que je les règle tous. Si je n’y arrive pas, elle va penser que je ne suis pas compétent. Est-ce qu’elle aurait raison de le penser ? Il faut vraiment que j’avance si je veux y arriver ! Si elle met trop de temps à me répondre, ça va être encore plus difficile pour moi ! »

Pour accélérer le rythme, dans notre exemple nous avons décidé de couper court au silence avec de nouvelles questions, de nouvelles reformulations. Deux raisons supplémentaires ont pu entraîner notre comportement. Tout d’abord, comme la patiente est restée muette à notre question : peut-être qu’elle ne comprend pas notre démarche ? Pour ne pas rester incompris, nous avons alors multiplié les questions en tentant de les rendre plus précises. Mais il est possible que nous craignions aussi de tomber à côté. L’envie de montrer à la patiente que nous comprenons ce qu’elle vit s’accompagne du besoin de tomber juste dans nos interventions verbales. Une autre raison existe parfois : par peur que la personne garde la parole trop longtemps lorsque nous lui posons une question, nous pouvons avoir tendance à la reprendre rapidement. Nous pouvons avoir peur de perdre le contrôle de la consultation. Cette peur surgit d’autant plus dans des situations qui nous semblent difficiles à gérer. 

Tentons de prendre du recul en changeant de contexte.

Imaginez-vous au restaurant avec des amis. La carte est très alléchante et vous hésitez entre trois plats. Le serveur arbore son plus beau sourire et demande à votre tablée s’il peut prendre la commande. Tout le monde est prêt sauf vous. Vous proposez à vos amis de répondre pour vous laisser encore un peu de temps. Puis votre tour arrive : « Et vous, qu’est-ce qui vous inspire ? » lance le serveur. Votre choix n’est toujours pas arrêté, et vous essayer d’accélérer en cherchant des critères qui pourraient vous aider à vous décider mais le serveur enchaine : « Comment je peux vous aider à faire un choix ? Voulez-vous que je vous explique la carte ? Vous êtes plutôt viande ou poisson ? La sauce qui accompagne le poisson est délicieuse, le mariage du safran et de l’échalotte est sublime ! Qu’est-ce qui vous fait hésiter ? ». Vous regardez le serveur, dépité car vous restez bloqué. D’un côté vous lui en voulez un peu de ne pas vous laissez plus de temps pour choisir. Et d’un autre côté vous culpabilisez de ne pas aller plus vite pour lui. Vous savez qu’il doit être efficace, la cuisine a besoin de la commande, d’autres clients attendent… La contrainte de temps imposée pour faire votre choix vous empêche de réfléchir. Et vous vous dites que : « Ça aurait été plus facile pour moi s’il s’était tu après sa première question et qu’il avait simplement attendu ma réponse…»

« Si ce que tu t’apprête à dire n’est pas plus beau que le silence… Alors tais toi ». 
(Proverbe Soufi)

Quel lien pouvons-nous faire entre cette situation au restaurant et notre situation clinique ?

Est-il possible que notre patiente a pu ressentir des choses comparables à ce que nous avons vécu avec ce serveur ? Si nous reprenons notre point de vue, nous avons pu interpréter son silence de plusieurs manières :

  • Elle va penser que nous ne sommes pas compétent.

  • Elle n’a pas compris notre question, il faut la reformuler.

  • Elle ne comprend pas notre démarche, elle ne voit pas de rapport avec sa problématique.

  • Elle va nous faire perdre un temps précieux si elle ne sait pas quoi répondre.

  • Si jamais je la laisse répondre à cette question trop ouverte, elle risque garder la parole pendant trop longtemps

  • etc.

Malheureusement, en reprenant la parole rapidement nous avons coupé sa réflexion. S’il avait été plus long, le silence qui a suivi notre première question aurait peut-être pu permettre à notre patiente de trouver sa réponse. Ce silence qui nous paraît s’éterniser n’a pas la même durée dans la tête de la personne qui cherche sa réponse. En effet, choisir entre faire ce qu’il faut pour récupérer son bras opéré, soulager son bras opposé, ou bien calmer une douleur qui irradie dans une jambe, c’est un choix qui peut être complexe ! Pour celle ou celui qui hésite, le silence est une bulle de calme offerte à son cerveau pour élaborer son raisonnement. Avec nous, le serveur a perdu du temps en voulant en gagner avec des questions ‘plus précises’. Il a compliqué notre prise de décision, et il nous a provoqué des sentiments mêlés d’agacement et de culpabilité envers lui. Il s’est concentré sur son besoin d’être efficace. Et nous thérapeute, en orientant nos dernières questions sur les douleurs irradiant dans la jambe de notre patiente nous avons commencé à décider du sujet prioritaire à la place de la patiente. En posant des questions qui alimentent habituellement notre raisonnement clinique, nous avons retrouvé une zone plus confortable pour nous et nous avons perdu notre objectif de nous centrer sur ce qui est important pour la personne en face de nous. Mais que se passerait-il si nous essayions d’exploiter le vide offert par un silence ? Quelle présence se cache derrière l’absence de bruit ?

« La parole est d’argent, le silence est d’or ».
(Proverbe ancestral)

Quelques pistes pour gérer un silence

En Entretien Motivationnel, plusieurs outils de communication sont utilisés pour accompagner un patient dans l’exploration de son ambivalence. Les outils les plus connus sont les questions ouvertes, les reflets, les résumés ou encore la valorisation. Mais il en existe d’autres et le silence en fait partie. Voici quelques propositions pour gérer et vivre différemment les silences dans nos échanges avec les patients :

- ‘Commencer’ nos interventions verbales par un silence pour manifester notre présence, notre attention à l’autre. Ce silence permet de s’assurer que notre interlocuteur a fini de parler, tout en signifiant par un contact visuel notre attention exclusive. Le silence permet l’expression de notre non verbal, qui fait partie intégrante de notre communication.  [3]  

- Utiliser un seul outil de communication à la fois, le ponctuer d’un silence et voir ce qui en résulte (Carr and Smith 2014).

- Utiliser la présence d’un silence pour observer le comportement non-verbal de notre interlocuteur et s’en servir pour le guider.

Commençons par explorer certains détails de la deuxième piste : utiliser un seul outil de communication à la fois en le ponctuant d’un silence. Reprenons la situation clinique avec notre patiente. Lorsque nous lui demandons : « Quels sont vos objectifs en venant faire des séances de kinésithérapie ? », une proposition serait de se retenir d’enchaîner avec une autre question. Notre première question est pertinente, elle demande juste à la patiente un temps de réflexion pour organiser sa pensée. Veillons à ne pas l’en empêcher. Le silence offre le temps dont elle a besoin pour trouver sa réponse.

Le silence n’est pas utile seulement à la suite d’une question. Il peut être très pertinent après une reformulation - un reflet dans le jargon de l’Entretien Motivationnel (Miller and Rollnick 2013). En effet, lorsque nous reformulons (reflétons) ce qu’un patient vient de nous dire, lui donner le temps d’analyser ce qu’il vient d’entendre avec un silence peut tout changer. Lorsqu’un patient exprime quelque chose d’important, comme une émotion forte par exemple, reformuler ce qu’il a dit avec une affirmation (la formule d’un reflet) lui permet de mieux se rendre compte de ce qu’il vient de dire. Si nous enchainons avec une question, il est possible que le patient manque cette prise de conscience souvent révélatrice. Nous pouvons parler de « silence fécond » [4]. C’est également le cas lorsque nous utilisons un reflet pour manifester notre empathie : « Cette situation doit être vraiment difficile à vivre pour vous. ». Laisser un silence accorde au patient le temps de réaliser que nous nous soucions de lui, qu’il peut s’autoriser à nous en dire plus s’il le souhaite, mais aussi lui offrir du temps pour gérer les émotions qu’il peut ressentir monter en lui sur le moment.

De façon évidente, nous vous incitons à regarder votre patient pendant ces silences. Il serait maladroit de regarder votre téléphone ou même votre écran d’ordinateur. Manifester notre présence en regardant votre interlocuteur pendant un silence lui montre que nous sommes présent et attentif. [3] Notre comportement non verbal se doit alors de laisser transparaitre notre sérénité face à ce moment de silence. Si le patient est mal à l’aise, nous voir calme et attentif diminuera le risque qu’il pense que nous ne savons pas ce que nous faisons et lui offrira un cadre favorable à sa réflexion et à la gestion de ses émotions. Notre silence reflète notre acceptation du temps dont il a besoin, sans jugement de notre part.

De plus, regarder le patient pendant un silence nous donne l’occasion d’observer son attitude non verbale. Si le patient n’arrive vraiment pas à reprendre la parole, nous pouvons lui proposer un reflet sur son attitude non-verbale : « C’est un choix difficile. ». Et si nous prenons soin de laisser un silence après ce reflet, le patient pourra continuer sa réflexion à voix haute. Ainsi, en nous la partageant, nous augmenterons même nos chances de l’aider. Comme Ladany, Hill, Thompson, and O’Brien l’expriment (Hill, Thompson, and Ladany 2003) « Le silence peut être utilisé pour faciliter la réflexion, encourager la responsabilité, faciliter l’expression des sentiments, ne pas interrompre le flux de la séance et transmettre de l’empathie. Pendant le silence, les thérapeutes observent le patient, réfléchissent leur stratégie de guidage, manifestent de l’intérêt ».

Conclusion

Nous espérons que ce blog sur le silence vous aura permis de passer un moment silencieux, utile et plaisant. Si vous souhaitez améliorer votre compréhension sur l’importance du silence en consultation, le cours de Pratique Clinique Réflexive enseigné par Camille Leteurtre et Guillaume Deville (lien) vous aidera à approfondir ce sujet en analysant des situations cliniques et le cursus complet de formation en Entretien Motivationnel vous permettra de vivre l’impact de cet outil et de vous entrainer à l’utiliser. Merci pour votre lecture. Pour les plus curieux d’entre vous, je vous ajoute un bonus ci-dessous.

Bonus : Un éloge du silence

Notre envie d’aider nos patients est grande, notre formatage à donner avis et conseils est institutionnel et constitutionnel. Une alternative possible à proposer face à cette tendance naturelle, serait de refreiner cette pulsion à meubler l’espace sonore, en adoptant une posture qui incarne l’esprit motivationnel (acceptation, autonomisation, altruisme, collaboration). Cela correspondrait à respecter le rythme de l’autre à travers une « écoute centrée sur le patient ». Ainsi, marquer le silence après l’utilisation d’un outil de communication favorisera l’élaboration de la pensée de nos patients. Nous y cacher en bons observateurs, pour exploiter le non verbal qui se dégage de ce travail mental du patient, servira notre guidage au moment opportun. Le guidage est un art, où le maître a la conscience de ce qu’il nous dit (quel discours il génère ?), du « pourquoi » il le dit (quel est le but de la direction choisie ?), et du « comment » il le dit (quel timing il utilise ?). Le silence incarne un ingrédient majeur de « l’écoute active centrée sur le patient », qui sublime avec puissance et finesse le guidage du clinicien.

Références bibliographiques

Carr, E. Summerson, and Yvonne Smith. 2014. “The Poetics of Therapeutic Practice: Motivational Interviewing and the Powers of Pause.” Culture, Medicine and Psychiatry 38 (1): 83–114. https://doi.org/10.1007/s11013-013-9352-9.

Hill, Clara E., Barbara J. Thompson, and Nicholas Ladany. 2003. “Therapist Use of Silence in Therapy: A Survey.” Journal of Clinical Psychology 59 (4): 513–24. https://doi.org/10.1002/jclp.10155.

Miller, William R., and Stephen Rollnick. 2013. Motivational Interviewing : Helping People Change. Guilford Press. https://www.guilford.com/books/Motivational-Interviewing/Miller-Rollnick/9781609182274.

Rosengren, David B. 2017 : Building Motivational Interviewing Skills : A Practitioner
         Workbook. Guilford Press. https://www.guilford.com/books/Building-Motivational-Interviewing-Skills/David-Rosengren/9781462532063

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